Il y a quelques mois[i], la
Commission de l’écofiscalité du Canada a publié un rapport sur le péage
routier. Les auteurs du rapport observent que, de par sa géographie, la ville
de Montréal se prêterait facilement à la mise en œuvre d’un système de péage
routier sur tous les ponts qui mènent à l’île de Montréal – et pas seulement
sur le pont Champlain comme l’ex-gouvernement de Stephen Harper le préconisait.
Comme plusieurs observateurs l’ont
noté, il serait absurde et inéquitable que le péage s’applique uniquement au
pont Champlain. D’autant plus que le gouvernement conservateur prévoyait que le
fruit du péage irait directement au secteur privé, et non à la ville de
Montréal. Si ce projet avait été mis en œuvre tel quel, il est évident que
plusieurs automobilistes auraient fait un détour pour emprunter un autre pont
afin d’éviter le péage. Ainsi, le péage n’aurait eu aucun bienfait.
Il est fort probable que le projet
de péage sur le pont Champlain – et la manière intransigeante avec lequel il a
été défendu par Harper et ses collègues – ait
fait en sorte que de nombreux citoyens, dont notamment le maire Denis
Coderre, ont développé une attitude négative par rapport au péage. Ceci
pourrait expliquer en partie pourquoi M. Coderre a balayé l’idée du péage du revers de la main. De plus, dans le contexte actuel caractérisé notamment par
l’austérité et le cynisme à l’égard de la classe politique, la mise en œuvre
d’un péage routier pourrait être perçue a
priori comme encore une autre taxe imposée aux citoyens (déjà surtaxés
ajouteront certains).
Du côté d’Ottawa, le maire Jim Watson a également exprimé son opposition au péage. Le conseiller municipal
David Chernushenko a déposé une motion pour que la ville étudie différents
moyens de réduire la congestion routière en vue de la mise à jour de son plan
directeur en matière de transport prévue en 2018. Malheureusement, le conseil municipal s'est prononcé contre cette motion. Certains conseillers avaient peur que l'étude indique que le péage serait la meilleure option.
Cela dit, je crois que la mise en
œuvre d’un système de péage routier tel que proposé par la Commission de
l’écofiscalité du Canada serait bénéfique pour Ottawa, Montréal et plusieurs
autres villes canadiennes. À mon avis, il y aurait d’importants bienfaits
potentiels pour l’environnement, l’économie, la santé et la qualité de vie.
On s’explique.
1) L’environnement
Commençons par l’environnement qui
est probablement la catégorie de bienfaits la plus évidente. Tel que j’ai
discuté dans un chapitre de livre paru il y a quelques années, les villes de
Londres et Stockholm ont mis en œuvre un système de péage routier dans leur
centre-ville. À Stockholm, par exemple, le nombre de kilomètres parcourus en
voiture a diminué de 15% suite à l’instauration du péage et les émissions de
dioxyde de carbone (CO2), d’oxyde nitreux (NO2) et de
particules fines (PM10) ont diminué de 8.5 à 14%.
À Montréal, on pourrait s’attendre à
un plus grand effet dans le mesure où 1) le péage serait appliqué à tous les
ponts qui mènent vers l’île de Montréal qui couvre un grand territoire; 2) le
pourcentage des déplacements effectués en voiture est beaucoup plus élevé à
Montréal[ii]
qu’à Londres ou Stockholm (donc il y a un plus grand potentiel de changement
des habitudes de transport) et 3) au Québec, environ 45% des émissions de gaz à
effet de serre (GES) sont attribuables au secteur du transport (dans les pays
industrialisés, cette proportion est d’environ 30% en moyenne).
Dans le cas d’Ottawa, la ville à
récemment adopté une politique sur le climat et il me semble qu’un péage
routier pourrait être une mesure particulièrement pertinente pour atteindre les
objectifs de diminution des émissions de GES. Cependant, je crois qu’une étude
plus approfondie serait nécessaire pour déterminer le périmètre à l’intérieur
duquel le péage serait instauré. Il n’en demeure pas moins que le péage devrait
permettre à la ville d’atteindre ses propres objectifs en matière de réduction
du pourcentage de déplacements effectués en voiture.
D’ailleurs, il est intéressant de
noter que les villes d’Atlanta et Pékin[iii]
avaient adopté d’importantes mesures de réduction de la circulation dans le
cadre des jeux olympiques de 1996 et 2008 respectivement et d’importantes
diminutions des émissions de GES ont été observées (Larouche, 2012). Dans le cas d’Atlanta, une
diminution significative des hospitalisations pour des crises d’asthme avait
été observée durant les jeux (Friedman et al., 2001). Ainsi, un système de
péage combiné à d’autres mesures peut entraîner une diminution plus importante
des émissions GES et d’autres gaz d’échappement (notamment les particules
fines, dont je reparlerai dans la section sur la santé). Cela dit,
concentrons-nous sur le péage pour aujourd’hui !
2) L’économie
Depuis des années, les gouvernements
conservateurs martèlent qu’il faut faire un choix entre l’écologie et
l’économie. Vous vous souvenez du « complot socialiste » dans l’imagination de Stephen Harper? Ou du
« vous êtes avec nous ou vous êtes
contre nous » de George W. Bush? Ce genre de rhétorique semble malheureusement
avoir fait son chemin. Ainsi, plusieurs personnes pourraient admettre les
bienfaits du péage pour l’environnement tout en redoutant des impacts
économiques négatifs.
Il faut d’ailleurs tenir compte des
coûts économiques importants associés à la congestion routière (Litman, 2013). Seulement à Montréal, les coûts seraient de l’ordre de 1,8 à 2,5 milliards par année,
soit de plus d’un pourcent du produit intérieur brut (PIB) de la métropole.
À Londres, la congestion routière a
été réduite de 40% à l’intérieur du périmètre où le péage est en vigueur. Cette
diminution n’a pas été compensée par une hausse de la congestion ailleurs en
ville. En effet, dans l’ensemble de la région métropolitaine, la congestion a
diminué de 10%. Du côté de Stockholm,
la diminution de la congestion
associée à la mise en œuvre du péage est de 20 à 25% (Hysing et Isaksson,
2015).
Un estimé à l’aide des données du
rapport de la Commission de
l’écofiscalité du Canada et de la fourchette de réduction de la congestion
routière observée à Londres et Stockholm suggère que Montréal pourrait
économiser de 180 millions à 1 milliard par année. Bien sûr, le montant exact
dépend de plusieurs facteurs dont le tarif imposé et la taille du périmètre où
le péage serait appliqué – le but de mon calcul est de fournir un ordre de
grandeur…
Une autre raison pour laquelle mon
estimé est à prendre avec un grain de sel est que je soupçonne que le modèle
économique sur lequel il est basé tient principalement compte des coûts les
plus tangibles associés à la congestion routière (ex : pertes de
productivité, maintien des infrastructures, coût d’élargissement des routes,
etc.). Un système de péage pourrait aussi générer des économies importantes en
matière de coûts de soins de santé. Ces économies sont plutôt difficiles à
quantifier parce que les maladies chroniques ne se développent pas du jour au
lendemain. Néanmoins, si on ne tient pas compte des bienfaits en matière de
santé publique (dont je discuterai dans les prochains paragraphes), on risque
de sous-estimer les économies potentielles d’un système de péage.
3) La santé
Bien sûr que l’épidémiologiste en
moi ne peut s’empêcher de discuter de la santé J
Pour aujourd’hui, je vais me concentrer sur les bienfaits incidentaux[iv]
des systèmes de péage et d’autres mesures de réduction de la circulation
routière. Commençons par le cas de Stockholm, dont j’ai déjà discuté sur ce blogue. Des chercheurs suédois ont mesuré la pratique d’activité physique avant
et après la mise en œuvre du péage. Ils ont observé une augmentation
significative du volume d’activité physique après l’instauration du péage.
Je vous avais promis que je
reviendrais sur la question des particules fines émises par les véhicules. En
2010, l’American Heart Association a
révisé de façon exhaustive les données scientifiques sur le sujet (Brook et
al., 2010). En somme, plus la concentration de particules fines dans l’air est
élevée, plus les gens sont susceptibles de développer des maladies
cardiovasculaires et pulmonaires et de subir des crises d’asthme.
L’inactivité physique, les accidents
de la route et la pollution de l’air font tous partie des principaux facteurs
de risque de la mortalité à l’échelle mondiale. Un bon système de péage
pourrait contribuer à diminuer ces trois facteurs de risque. Les impacts
seraient potentiellement supérieurs si les revenus récoltés grâce au péage
étaient réinvestis pour le transport actif et le transport en commun.
4) La qualité de vie
Je termine ce tour d’horizon par la
qualité de vie, l’indicateur qui est le plus concret et immédiat pour le commun
des mortels. Il va de soi que le temps perdu dans les embouteillages 10 fois
par semaine a un impact négatif sur la qualité de vie. En diminuant cette perte
de temps, les gens auraient plus de temps à consacrer à des activités plus
agréables – et la quantité de temps économisée n’est pas triviale.
Justement, dans son entrevue au
quotidien Le Devoir, Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion
du secteur de l’énergie à HEC Montréal affirmait « Les gens n’aiment
pas payer plus et, surtout, les gens n’aiment pas payer pour les autres, mais
ce qu’il faut comprendre, c’est qu’avant même de débourser pour financer le
transport en commun ou même pour contribuer à la lutte aux changements
climatiques, les automobilistes paieraient pour rendre leurs propres
déplacements plus agréables. Ils seraient les premiers à en
bénéficier ! » Ils
bénéficieraient aussi d’une diminution de leur consommation d’essence !
C’est
fort probablement ce qui explique le succès du système de péage à Stockholm. Dans
leur article fort intéressant, Hysing et Isaksson (2015) expliquent que le
péage a d’abord été proposé comme un projet-pilote. Ceci a permis aux gens d’expérimenter
le système avant d’être invités à se prononcer dans le cadre d’un référendum.
Avant le projet-pilote, seulement un quart des citoyens étaient en faveur du
péage et la mairesse avait accepté l’idée à contrecœur, pour rester au pouvoir dans un gouvernement
minoritaire. En bout de ligne, le oui a remporté le référendum et, huit ans
plus tard, le système de péage est toujours en opération, avec l’appui des
trois quarts de la population.
Références
Brook RD,
Rajagopalan S, Pope CA et al. Particulate matter air pollution and
cardiovascular disease: An update to the scientific statement from the American
Heart Association. Circulation. 2010;121(21);2331-2378.
Commission de l’écofiscalité du
Canada. Circulation fluide en vue… tarifer la congestion routière pour mieux la
combattre. http://ecofiscal.ca/wp-content/uploads/2015/10/Commission-Ecofiscalite-Tarifer-Congestion-Routiere-Rapport-novembre-2015.pdf
Friedman MS, Powell
KE, Hutwagner L, Graham LM, Teague WG. Impact of changes in transportation and
commuting behaviors during the 1996 Summer Olympic Games in Atlanta on air
quality and childhood asthma. Journal of the American Medical
Association. 2001;285(7);897-905.
Hysing E,
Isaksson K. Building acceptance for congestion charges – the Swedish
experience. Journal of Transport
Geography. 2015;49:52-60.
Larouche, R.
(2012). The environmental and
population health benefits of active transport: A review. In G. Liu (Ed.) Greenhouse Gases – Emissions, Measurement
and Management, pp. 413-440. InTech: Rijeka,
Croatia.
Litman T.
Transportation and public health. Annual
Reviews of Public Health. 2013;34:217-233.
[i] J’aurai voulu écrire ce billet en novembre, mais j’ai manqué de
temps :(
[ii] À Montréal, deux tiers des déplacements sont effectués en voiture
et cette proportion augmente à mesure qu’on s’éloigne du centre-ville (donc
elle est beaucoup plus élevée en dehors de l’île).
[iii] Dans le cas de la ville de Pékin qui est réputée pour sa piètre
qualité de l’air, il y avait un incitatif supplémentaire puisque plusieurs
athlètes avaient menacé de boycotter les jeux.
[iv] J’utilise le terme bienfaits incidentaux parce que, dans la plupart
des cas, ces mesures ne sont pas mises en oeuvre dans le but d’améliorer la
santé publique – bien qu’ils ont des effets positifs sur la santé. En anglais,
on emploierait le terme health co-benefits.
Voir Sallis et al. (2015) pour une description détaillée de ce concept.
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