mercredi 9 décembre 2015

Le transport actif chez les enfants dans 12 pays



Un supplément complet du journal International Journal of Obesity consacré à une étude internationale sur l’obésité des enfants, les habitudes de vie et l’environnement[i] a été publié hier. C’est, à notre connaissance, la première étude évaluant le lien entre les habitudes de vie, l’environnement et l’obésité infantile auprès d’un échantillon aussi diversifié en termes de richesse et de géographie. La majorité des études précédentes sur le sujet ont été effectuées dans les pays industrialisés.

Les quelques 7000 participants ont été recrutés dans une région à l’intérieur des 12 pays suivants : l’Afrique du Sud (Cape Town), l’Australie (Adelaïde), le Brésil (São Paulo), le Canada (Ottawa), la Chine (Tianjin), la Colombie (Bogotá), les États-Unis (Bâton-Rouge), la Finlande (Helsinki, Vantaa et Espoo), l’Inde (Bangalore), le Kenya (Nairobi), le Portugal (Porto) et le Royaume-Uni (Bath et North East Somerset). J’ai eu la chance de collaborer à 3 articles sur le transport actif parus dans ce supplément (Denstel et al., 2015; Larouche et al., 2015; Sarmiento et al., 2015).

Tout d’abord, il est à noter que le mode de transport scolaire des enfants varie énormément d’un site à l’autre. Les abonnés à ce blogue ne tomberont pas de leur chaise en apprenant qu’Helsinki se classe en tête pour le pourcentage de déplacements à vélo (24,4%) et pour le transport actif au total (79,2%). Quant à la marche, c’est Bogotá qui domine avec un pourcentage de 71,6%. Bogotá vient également au deuxième rang pour le transport actif au total (73,8%). Dans l’ensemble de l’échantillon, 42,3% des enfants faisaient du transport actif et Ottawa est sous la moyenne avec un pourcentage de 35,1%.

Première surprise (il y en aura d’autres !), c’est à Bangalore en Inde que le pourcentage de déplacements actifs est le plus bas (5,2%) et que le pourcentage de déplacements en autobus est le plus élevé (61,8%). Bâton-Rouge est avant-dernier pour le transport actif avec un taux de 10,3%. Finalement, le « prix fossile[ii] » revient à Adelaïde (Australie), où 63,8% des enfants vont à l’école en voiture (les finalistes étant Porto et Tianjin – devant Bâton-Rouge, autre surprise).

D’autres études avaient observé des différences importantes en ce qui a trait au mode de transport scolaire des enfants. Cependant, une force de notre étude est que tous les sites ont suivis le même protocole de recherche. Ainsi, les résultats sont directement comparables.

Le transport actif, l’activité physique et l’obésité

L’article mené par ma collègue Kara Denstel du Pennington Biomedical Research Center à Bâton-Rouge portait sur la relation entre le transport actif et la pratique d’activités physique mesurée à l’aide d’un accéléromètre. Les enfants qui utilisaient le transport actif accumulaient en moyenne 6 minutes d’activité physique d’intensité moyenne à élevée par jour. Cette différence n’est pas énorme, mais ça représente quand même 10% de la quantité d’activité physique recommandée par l’Organisation Mondiale de la Santé. De plus, la probabilité d’atteindre la cible de 60 minutes d’activité physique d’intensité moyenne à élevée était presque deux fois plus élevée chez les enfants qui se déplaçaient activement.

Les résultats indiquent également que l’effet du transport actif sur la pratique d’activité physique quotidienne varie d’un site à l’autre. Une explication probable est que la distance moyenne entre l’école peut varier d’un site à l’autre[iii]. D’autres études ont montré que la contribution du transport actif à la pratique d’activité physique augmente proportionnellement avec la distance.

Ma collègue Olga Sarmiento de l’Universidade de Los Andes (Université des Andes) à Bogotá était en charge de l’article sur le lien entre le mode de transport et l’obésité. Les indicateurs suivants ont été employés pour la mesure de la composition corporelle :

  • L’obésité (selon les valeurs normatives de l’Organisation Mondiale de la Santé[iv], les enfants ont été classifiés comme étant obèse ou non-obèse)
  • L’indice de masse corporelle[v]
  • La circonférence de taille
  • Le pourcentage de gras[vi]

Les enfants qui faisaient du transport actif étaient 28% moins à risque d’être obèse. Ils présentaient également des valeurs légèrement inférieures pour les trois autres indicateurs de la composition corporelle. La relation entre le transport actif et les indicateurs de composition corporelle est semblable chez les filles et les garçons et elle ne varie pas significativement d’un pays à l’autre. Ces résultats auprès d’un échantillon aussi diversifié suggèrent que le transport actif pourrait contribuer à prévenir l’obésité infantile.


Qu’est-ce qui distingue les enfants qui font du transport actif de ceux qui n’en font pas?

Finalement, mon article portait principalement sur les facteurs associés au transport actif. L’échantillon employé pour les analyses comprenait 6555 participants (après l’exclusion des participants pour lesquels nous n’avions pas suffisamment de données pour nos analyses). Un parent (ou tuteur) de l’enfant a complété un questionnaire détaillé incluant des questions sur :

  •  le niveau socio-économique (éducation, nombre de véhicules, etc.)
  •  comment ils encouragent leur enfant à être actif physiquement
  •  leur perception de leur quartier en ce qui a trait à :

o   la cohésion sociale
o   l’environnement alimentaire (soit l’accès à divers types de commerces alimentaires)
o   la présence de ressources pour l’activité physique (ex : parcs, plages, terrains de sport, etc.)
o   l’environnement bâti (incluant une série de questions sur la sécurité routière, les infrastructures piétonnières et cyclables, etc.)
o   la sécurité personnelle de leur enfant (ex : craintes par rapport aux étrangers)

Notre idée initiale était de bâtir un modèle statistique des facteurs associés au transport actif pour les 12 sites. Cependant, j’ai eu une grosse surprise : mes résultats initiaux me semblaient insensés… c’est alors que je me suis aperçu que le site est un modérateur important[vii]. Autrement dit les facteurs associés au transport actif varient considérablement d’un site à l’autre.

J’ai donc dû retourner à la planche à dessin pour concevoir un modèle pour chacun des sites. En bout de ligne, chaque modèle incluait une combinaison unique de facteurs associés au transport actif. Le seul facteur qui jouait un rôle important dans la plupart des sites était le temps de déplacement – sans surprise, les enfants qui avaient un temps de déplacement plus court étaient plus inclinés à faire du transport actif.

Par conséquent, nous avons tiré deux conclusions importantes :

  • Les décideurs, urbanistes, ingénieurs civils et professionnels de la santé publique ne devraient pas prendre pour acquis qu’une intervention efficace dans un contexte donné fonctionnera ailleurs. D’ailleurs, les facteurs associés au transport actif sont plus variables chez les enfants que chez les adultes. De nombreuses études ont montré que les adultes marchent davantage s’ils habitent dans des quartiers denses, où il y a un bon mélange de bâtiments résidentiels et commerciaux (soit l’inverse des banlieues-dortoir) et où les rues sont disposées en forme de grille (ce qui raccourcit la distance entre les destinations). Notre étude suggère que de tels quartiers ne favorisent pas nécessairement le transport actif chez les enfants. Il ne suffit pas de « copier-coller » les environnements qui facilitent le transport actif chez les adultes.
  • Par conséquent, il est important de collecter des données locales sur les habitudes de transport des enfants avant de mettre en œuvre des interventions visant à promouvoir le transport actif.


Le modèle d’Ottawa

Parlant de données locales, voici les facteurs associés au transport actif à Ottawa, où nous avons recruté un total de 567 participants dans 26 écoles différentes (incluant des écoles francophones et anglophones et des écoles publiques et catholiques). La prévalence du transport actif était deux fois plus élevée chez les garçons que chez les filles. À l’opposé, les enfants rapportant un temps de déplacement de 15 minutes ou moins étaient beaucoup plus inclinés à utiliser le transport actif. Avoir accès à une variété de destinations à distance de marche (tel que rapporté par les parents) favorisait également le transport actif.

De plus, dans un article précédent portant seulement sur les données des enfants d’Ottawa, nous avions entre autres observé que la présence de brigadiers scolaires favorisent le transport actif. Les mesures d’apaisement de la circulation (ex : dos d’âne, rétrécissement de la chaussée près des intersections, etc.) favorisent aussi le transport actif, mais seulement dans les écoles où le directeur (ou la directrice) affirmaient que des trajets sécuritaires sont identifiés pour les piétons et cyclistes. Comme j’ai mentionné précédemment sur ce blogue, l’implication pratique de ce résultat est que les mesures visant à rendre l’environnement bâti plus sécuritaire devraient être employées en combinaison avec des stratégies visant à sensibiliser les enfants et leurs parents. 

En terminant, je dois mentionner une nuance importante pour interpréter correctement nos résultats. Puisque toutes les données de l’étude ont été collectées au même moment, les résultats indiquent des associations (corrélations) entre différentes variables. Ils n’indiquent pas quelle variable vient en premier (par exemple, est-ce que les enfants font du transport actif parce qu’il y a un brigadier? Ou est-ce qu’on engage un brigadier là où il y a plusieurs enfants qui font du transport actif? Ou s’agit-il d’un « cercle vertueux »). Pour répondre à ce genre de questions, il faudra une étude longitudinale où les mêmes participants seront suivis au fil du temps. Cela dit, nos résultats suggèrent qu’une étude longitudinale effectuée dans plusieurs pays serait particulièrement éclairante. À bon entendeur…


Références

KD Denstel, ST Broyles, R Larouche, OL Sarmiento, TV Barreira, J-P Chaput, TS Church, M Fogelholm, G Hu, R Kuriyan, A Kurpad, EV Lambert, C Maher, J Maia, V Matsudo, T Olds, V Onywera, M Standage, MS Tremblay, C Tudor-Locke, P Zhao and PT Katzmarzyk for the ISCOLE Research Group. Active school transport and weekday physical activity in 9-11 year old children from 12 countries. International Journal of Obesity Supplements.

OL Sarmiento, P Lemoine, SA Gonzalez, ST Broyles, KD Denstel, R Larouche, V Onywera, TV Barreira, J-P Chaput, M Fogelholm, G Hu, R Kuriyan, A Kurpad, EV Lambert, C Maher, J Maia, V Matsudo, T Olds, M Standage, MS Tremblay, C Tudor-Locke, P Zhao, TS Church and PT Katzmarzyk for the ISCOLE Research Group. Relationships between active school transport and adiposity indicators in school age children from low-, middle- and high-income countries. International Journal of Obesity Supplements.

R Larouche, OL Sarmiento, ST Broyles, KD Denstel, PT Katzmarzyk, TS Church, J-P Chaput, M Fogelholm, G Hu, R Kuriyan, A Kurpad, EV Lambert, C Maher, J Maia, V Matsudo, T Olds, V Onywera, M Standage, C Tudor-Locke, P Zhao and MS Tremblay for the ISCOLE Research Group. Are the correlates of active school transport context-specific? International Journal of Obesity Supplements.


[i] International Study of Childhood Obesity, Lifestyle and the Environment.
[ii] À la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, les pays qui s’illustrent par leur manque d'ambition reçoivent des "prix fossile".
[iii] Malheureusement certains pays n’ont pas accès à des systèmes d’information géographique qui nous permettraient d’obtenir un bon estimé de cette distance
[iv] Ces normes sont basées sur le sexe, l’âge et l’indice de masse corporelle.
[v] Mesuré par un score Z selon les normes de l’OMS.
[vi] Déterminé par bioimpédence avec une balance Tanita.
[vii] Sans entrer dans les détails, en statistique un modérateur est une variable qui affecte l’importance d’une relation entre deux variables. Par exemple, il est tout à fait raisonnable qu’un programme d’entraînement résulte en une plus grande amélioration de la condition physique chez les gens sédentaires comparativement aux athlètes de haut niveau (c’est en fait un principe fondamental de la physiologie de l’exercice). Nous conclurons alors que le niveau d’entraînement modère l’efficacité de notre programme d’entraînement.

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