Un supplément complet du journal International Journal of Obesity consacré
à une étude internationale sur l’obésité des enfants, les habitudes de vie et
l’environnement[i]
a été publié hier. C’est, à notre connaissance, la première étude évaluant le
lien entre les habitudes de vie, l’environnement et l’obésité infantile auprès
d’un échantillon aussi diversifié en termes de richesse et de géographie. La
majorité des études précédentes sur le sujet ont été effectuées dans les pays
industrialisés.
Les quelques 7000 participants ont
été recrutés dans une région à l’intérieur des 12 pays suivants :
l’Afrique du Sud (Cape Town), l’Australie (Adelaïde), le Brésil (São Paulo), le
Canada (Ottawa), la Chine (Tianjin), la Colombie (Bogotá), les États-Unis
(Bâton-Rouge), la Finlande (Helsinki, Vantaa et Espoo), l’Inde (Bangalore), le
Kenya (Nairobi), le Portugal (Porto) et le Royaume-Uni (Bath et North East
Somerset). J’ai eu la chance de collaborer à 3 articles sur le transport actif
parus dans ce supplément (Denstel et al., 2015; Larouche et al., 2015;
Sarmiento et al., 2015).
Tout d’abord, il est à noter que le
mode de transport scolaire des enfants varie énormément d’un site à l’autre. Les
abonnés à ce blogue ne tomberont pas de leur chaise en apprenant qu’Helsinki se
classe en tête pour le pourcentage de déplacements à vélo (24,4%) et pour le
transport actif au total (79,2%). Quant à la marche, c’est Bogotá qui domine
avec un pourcentage de 71,6%. Bogotá vient également au deuxième rang pour le
transport actif au total (73,8%). Dans l’ensemble de l’échantillon, 42,3% des enfants
faisaient du transport actif et Ottawa est sous la moyenne avec un pourcentage
de 35,1%.
Première surprise (il y en aura
d’autres !), c’est à Bangalore en Inde que le pourcentage de déplacements
actifs est le plus bas (5,2%) et que le pourcentage de déplacements en autobus
est le plus élevé (61,8%). Bâton-Rouge est avant-dernier pour le transport
actif avec un taux de 10,3%. Finalement, le « prix fossile[ii] »
revient à Adelaïde (Australie), où 63,8% des enfants vont à l’école en voiture
(les finalistes étant Porto et Tianjin – devant Bâton-Rouge, autre surprise).
D’autres études avaient observé des
différences importantes en ce qui a trait au mode de transport scolaire des enfants.
Cependant, une force de notre étude est que tous les sites ont suivis le même
protocole de recherche. Ainsi, les résultats sont directement comparables.
Le
transport actif, l’activité physique et l’obésité
L’article mené par ma collègue Kara Denstel
du Pennington Biomedical Research Center
à Bâton-Rouge portait sur la relation entre le transport actif et la pratique
d’activités physique mesurée à l’aide d’un accéléromètre. Les enfants qui
utilisaient le transport actif accumulaient en moyenne 6 minutes d’activité
physique d’intensité moyenne à élevée par jour. Cette différence n’est pas
énorme, mais ça représente quand même 10% de la quantité d’activité physique
recommandée par l’Organisation Mondiale de la Santé. De plus, la probabilité
d’atteindre la cible de 60 minutes d’activité physique d’intensité moyenne à
élevée était presque deux fois plus élevée chez les enfants qui se déplaçaient
activement.
Les résultats indiquent également
que l’effet du transport actif sur la pratique d’activité physique quotidienne
varie d’un site à l’autre. Une explication probable est que la distance moyenne
entre l’école peut varier d’un site à l’autre[iii].
D’autres études ont montré que la contribution du transport actif à la pratique
d’activité physique augmente proportionnellement avec la distance.
Ma collègue Olga Sarmiento de l’Universidade de Los Andes (Université des
Andes) à Bogotá était en charge de l’article sur le lien entre le mode de
transport et l’obésité. Les indicateurs suivants ont été employés pour la
mesure de la composition corporelle :
- L’obésité (selon les valeurs normatives de l’Organisation Mondiale de la Santé[iv], les enfants ont été classifiés comme étant obèse ou non-obèse)
- L’indice de masse corporelle[v]
- La circonférence de taille
- Le pourcentage de gras[vi]
Les enfants qui faisaient du
transport actif étaient 28% moins à risque d’être obèse. Ils présentaient
également des valeurs légèrement inférieures pour les trois autres indicateurs
de la composition corporelle. La relation entre le transport actif et les
indicateurs de composition corporelle est semblable chez les filles et les
garçons et elle ne varie pas significativement d’un pays à l’autre. Ces
résultats auprès d’un échantillon aussi diversifié suggèrent que le transport
actif pourrait contribuer à prévenir l’obésité infantile.
Qu’est-ce
qui distingue les enfants qui font du transport actif de ceux qui n’en font
pas?
Finalement, mon article portait
principalement sur les facteurs associés au transport actif. L’échantillon
employé pour les analyses comprenait 6555 participants (après l’exclusion des
participants pour lesquels nous n’avions pas suffisamment de données pour nos
analyses). Un parent (ou tuteur) de l’enfant a complété un questionnaire
détaillé incluant des questions sur :
- le niveau socio-économique (éducation, nombre de véhicules, etc.)
- comment ils encouragent leur enfant à être actif physiquement
- leur perception de leur quartier en ce qui a trait à :
o la
cohésion sociale
o l’environnement
alimentaire (soit l’accès à divers types de commerces alimentaires)
o la
présence de ressources pour l’activité physique (ex : parcs, plages,
terrains de sport, etc.)
o l’environnement
bâti (incluant une série de questions sur la sécurité routière, les infrastructures
piétonnières et cyclables, etc.)
o la
sécurité personnelle de leur enfant (ex : craintes par rapport aux
étrangers)
Notre idée initiale était de bâtir
un modèle statistique des facteurs associés au transport actif pour les 12
sites. Cependant, j’ai eu une grosse surprise : mes résultats initiaux me
semblaient insensés… c’est alors que je me suis aperçu que le site est un modérateur important[vii].
Autrement dit les facteurs associés au transport actif varient considérablement
d’un site à l’autre.
J’ai donc dû retourner à la planche
à dessin pour concevoir un modèle pour chacun des sites. En bout de ligne,
chaque modèle incluait une combinaison unique de facteurs associés au transport
actif. Le seul facteur qui jouait un rôle important dans la plupart des sites
était le temps de déplacement – sans surprise, les enfants qui avaient un temps
de déplacement plus court étaient plus inclinés à faire du transport actif.
Par conséquent, nous avons tiré deux
conclusions importantes :
- Les décideurs, urbanistes, ingénieurs civils et professionnels de la santé publique ne devraient pas prendre pour acquis qu’une intervention efficace dans un contexte donné fonctionnera ailleurs. D’ailleurs, les facteurs associés au transport actif sont plus variables chez les enfants que chez les adultes. De nombreuses études ont montré que les adultes marchent davantage s’ils habitent dans des quartiers denses, où il y a un bon mélange de bâtiments résidentiels et commerciaux (soit l’inverse des banlieues-dortoir) et où les rues sont disposées en forme de grille (ce qui raccourcit la distance entre les destinations). Notre étude suggère que de tels quartiers ne favorisent pas nécessairement le transport actif chez les enfants. Il ne suffit pas de « copier-coller » les environnements qui facilitent le transport actif chez les adultes.
- Par conséquent, il est important de collecter des données locales sur les habitudes de transport des enfants avant de mettre en œuvre des interventions visant à promouvoir le transport actif.
Le
modèle d’Ottawa
Parlant de données locales, voici
les facteurs associés au transport actif à Ottawa, où nous avons recruté un
total de 567 participants dans 26 écoles différentes (incluant des écoles
francophones et anglophones et des écoles publiques et catholiques). La
prévalence du transport actif était deux fois plus élevée chez les garçons que
chez les filles. À l’opposé, les enfants rapportant un temps de déplacement de
15 minutes ou moins étaient beaucoup plus inclinés à utiliser le transport
actif. Avoir accès à une variété de destinations à distance de marche (tel que
rapporté par les parents) favorisait également le transport actif.
De plus, dans un article précédent portant
seulement sur les données des enfants d’Ottawa, nous avions entre autres
observé que la présence de brigadiers scolaires favorisent le transport actif.
Les mesures d’apaisement de la circulation (ex : dos d’âne, rétrécissement
de la chaussée près des intersections, etc.) favorisent aussi le transport
actif, mais seulement dans les écoles où le directeur (ou la directrice)
affirmaient que des trajets sécuritaires sont identifiés pour les piétons et
cyclistes. Comme j’ai mentionné précédemment sur ce blogue, l’implication
pratique de ce résultat est que les mesures visant à rendre l’environnement
bâti plus sécuritaire devraient être employées en combinaison avec des
stratégies visant à sensibiliser les enfants et leurs parents.
En terminant, je dois mentionner une
nuance importante pour interpréter correctement nos résultats. Puisque toutes
les données de l’étude ont été collectées au même moment, les résultats
indiquent des associations (corrélations) entre différentes variables. Ils
n’indiquent pas quelle variable vient en premier (par exemple, est-ce que les
enfants font du transport actif parce qu’il y a un brigadier? Ou est-ce qu’on
engage un brigadier là où il y a plusieurs enfants qui font du transport actif?
Ou s’agit-il d’un « cercle vertueux »). Pour répondre à ce genre de
questions, il faudra une étude longitudinale où les mêmes participants seront
suivis au fil du temps. Cela dit, nos résultats suggèrent qu’une étude
longitudinale effectuée dans plusieurs pays serait particulièrement éclairante.
À bon entendeur…
Références
KD
Denstel, ST Broyles, R Larouche, OL Sarmiento, TV Barreira, J-P Chaput,
TS Church, M Fogelholm, G Hu, R Kuriyan, A Kurpad, EV Lambert, C Maher, J Maia,
V Matsudo, T Olds, V Onywera, M Standage, MS Tremblay, C Tudor-Locke, P Zhao
and PT Katzmarzyk for the ISCOLE Research Group. Active school transport and
weekday physical activity in 9-11 year old children from 12 countries. International Journal of Obesity
Supplements.
OL Sarmiento, P Lemoine, SA Gonzalez, ST Broyles, KD Denstel, R
Larouche, V Onywera, TV Barreira, J-P Chaput, M Fogelholm, G Hu, R Kuriyan,
A Kurpad, EV Lambert, C Maher, J Maia, V Matsudo, T Olds, M Standage, MS
Tremblay, C Tudor-Locke, P Zhao, TS Church and PT Katzmarzyk for the ISCOLE
Research Group. Relationships between active school transport and adiposity
indicators in school age children from low-, middle- and high-income countries.
International Journal of Obesity
Supplements.
[i] International Study of Childhood Obesity,
Lifestyle and the Environment.
[ii] À la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques,
les pays qui s’illustrent par leur manque d'ambition reçoivent des "prix fossile".
[iii] Malheureusement certains pays n’ont pas accès à des systèmes
d’information géographique qui nous permettraient d’obtenir un bon estimé de
cette distance
[iv] Ces normes sont basées sur le sexe, l’âge et l’indice de masse
corporelle.
[v] Mesuré par un score Z selon les normes de l’OMS.
[vi] Déterminé par bioimpédence avec une balance Tanita.
[vii] Sans entrer dans les détails, en statistique un modérateur est une
variable qui affecte l’importance d’une relation entre deux variables. Par
exemple, il est tout à fait raisonnable qu’un programme d’entraînement résulte
en une plus grande amélioration de la condition physique chez les gens
sédentaires comparativement aux athlètes de haut niveau (c’est en fait un
principe fondamental de la physiologie de l’exercice). Nous conclurons alors
que le niveau d’entraînement modère l’efficacité de notre programme
d’entraînement.
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