samedi 17 octobre 2015

La sécurité du vélo aux Pays-Bas

Dans mon billet d’avant-hier, j’ai discuté de l’immense popularité du vélo aux Pays-Bas. Un autre fait intéressant à noter c’est que 50 à 55% des trajets à vélo aux Pays-Bas sont effectuées par les femmes. Cette proportion se situe également entre 45 et 55% au Danemark, en Allemagne, en Suède et en Finlande – tous des pays où le vélo est un mode de transport fréquemment utilisé (Garrard et al., 2012; Pucher et Buehler, 2008).

En contrepartie, dans les pays Anglo-Saxons dont le Canada, 70 à 80% des trajets à vélo sont effectués par les hommes (Garrard et al., 2012). Par exemple, dans un de nos articles, nous avons observé que 4 fois plus de garçons que de filles âgés de 12 à 19 ans font au moins une heure de vélo par semaine dans le cadre de leurs déplacements (Larouche et al., 2014).

En somme, plus le pourcentage des trajets à vélo faits par les femmes dans une ville (ou un pays) donné est élevée, plus le pourcentage des déplacements à vélo est élevé. Mais pourquoi en est-il ainsi ?

L’hypothèse la plus communément acceptée pour expliquer ce phénomène est que les femmes sont plus préoccupées par la sécurité routière que les hommes et, justement, le vélo est beaucoup plus sécuritaire au Pays-Bas (Garrard et al., 2012; Pucher et Buehler, 2008, 2012), et ce malgré le fait que presque aucun cycliste ne porte un casque[i]. En fait, je n’ai pas vu un seul cycliste casqué pendant mon voyage, ni à Utrecht, ni à Amsterdam et ni entre ces deux villes.

Par exemple, Pucher et Buehler (2012) ont comparé le nombre d’accidents mortels à vélo pour chaque 100 millions de kilomètres parcourus entre 5 pays.  C’est au Pays-Bas que ce taux est le moins élevé à 1,1 décès/100 000 000 km, comparativement à 1,6 au Danemark et en Allemagne, 3,3 au Royaume-Uni et 5,5 aux États-Unis. Même si la probabilité de mourir d’un accident de vélo est extrêmement faible dans tous ces pays, elle est tout de même 5 fois plus élevée aux États-Unis qu’aux Pays-Bas. Les différences entre ces deux pays sont encore plus frappantes lorsqu’on considère les accidents. Le nombre d’accidents pour chaque 10 000 000 km est 21 fois plus élevé aux États-Unis qu’aux Pays-Bas (33,5 vs. 1,6).

À mon avis, l’adéquation entre le code de la route et la loi de la cinétique est fort probablement la principale raison qui explique ces énormes différences. Je m’explique. D’abord la loi de la cinétique s’exprime par la formule E=mv2 où m représente la masse et v, la vitesse. Remarquez que la vitesse est au carré, ce qui indique que l’énergie cinétique augmente de façon exponentielle avec la vitesse. D’où l’idée de diminuer les limites de vitesse pour réduire le risque et la gravité des accidents comme j’ai discuté précédemment sur ce blogue.

Sur ce, revenons à la physique élémentaire avant de discuter du code de la route et des politiques. À la lumière de l’équation ci-haut, il est indiscutable que la masse et la vitesse du véhicule motorisé impliqué dans une collision sont les principaux déterminants de la force d’impact. C’est là où le code de la route entre en jeu.

Précisément, le volume et la vitesse de la circulation détermine le type d’infrastructure cyclable qui DOIT être installé aux Pays-Bas (oui, j’ai bien dit « doit » – et non pas « peut » – ce n’est  pas optionnel) (Furth, 2012; Wegman & Aarts, 2006). Certaines rues locales appelées woonerf ont une limite de vitesse de 15 km/h et les piétons et cyclistes sont libres d’y circuler en plein milieu de la rue ! À l’opposé, il doit absolument y avoir une piste cyclable séparée du trafic ou une voie de service avec une limite de vitesse plus basse parralèle aux routes où la vitesse de la circulation est supérieure à 60 km/h. Le tableau ci-dessous donne un aperçu du type d’infrastructure à aménager en fonction du volume et de la vitesse de la circulation.

Configuration
Volume de circulation (véhicules/jour)
Rues locales (30 km/h)
Rue collectrice
Route rurale (60 km/h)
Route à circulation rapide (≥70 km/h)
Circulation à deux voies sans ligne jaune
<2000
Aucune ou bande cyclable peinturée
Bande cyclable ou piste cyclable
Bande cyclable peinturée
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse plus basse
2000-3000
Aucune ou bande cyclable peinturée
Bande cyclable ou piste cyclable
Bande cyclable ou piste cyclable
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse plus basse
3000-4000
Bande cyclable ou piste cyclable
Bande cyclable ou piste cyclable
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse plus basse
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse plus basse
˃4000
Bande cyclable ou piste cyclable
Bande cyclable ou piste cyclable
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse plus basse
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse plus basse
Deux voies
Peu importe
Bande cyclable ou piste cyclable
Bande cyclable ou piste cyclable
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse plus basse
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse plus basse
Quatre voies et plus
Peu importe
Cela n’existe pas !
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse plus basse
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse plus basse
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse plus basse
Note : la terminologie des voies cyclables peut être difficile à saisir. Voici les définitions qui s’appliquent ici. Une bande cyclable peinturée n’offre aucune séparation entre les cyclistes et les automobilistes. Une bande cyclable (en bonne et due forme) fourni une séparation entre les cyclistes et les automobilistes, sauf aux intersections. La séparation peut être un petit muret de béton (comme on voit entre autres à Montréal et Ottawa), une chaussée surélevée, etc. Enfin, une piste cyclable est une voie cyclable complètement séparée de la circulation.

D’autre part, un autre aspect du code de la route Néerlandais est que lors d’une collision, le fardeau de la preuve revient au véhicule le plus gros. Autrement dit, l’automobiliste distrait qui a happé un peloton de 6 cyclistes (faisant 3 victimes) sur la route 112 en Montérégie il y a quelques années ne s’en serait pas tiré sans aucune accusation. Le système de justice Néerlandais n’est pas aussi indulgent que le nôtre en ce qui a trait à la distraction au volant[ii] et le conducteur d’un véhicule potentiellement mortel y est tenu responsable de ses actes.

Pendant ce temps-là, au Canada, on tolère que 42% des écoles soient situées sur des routes où la limite de vitesse est d’au moins 60 km/h et où il n’y a habituellement aucune infrastructure cyclable (O’Loghlen et al. 2011). Mes collègues néerlandais n’en reviennent pas que l’on tolère une telle chose, d’autant plus que l’on sait qu’une grande étude longitudinale publiée dans le British Medical Journal a indiqué qu’une diminution des limites de vitesse a diminué le nombre de collisions de 50% chez les jeunes Londoniens (Grundy et al., 2009).


Références

Furth PG. Bicycle infrastructure for mass cycling. Dans J Pucher et R Buehler (Eds.), City Cycling.  Cambridge, MA: Massachusetts Institutes of Technology Press. pp. 105-139.

Garrard J, Rose G, Lo SK. Promoting transportation cycling for women: the role of bicycle infrastructure. Preventive Medicine. 2008;46(1):55-59.

Garrard J, Handy S, Dill J. Women and cycling. Dans J Pucher et R Buehler (Eds.), City CyclingCambridge, MA: Massachusetts Institutes of Technology Press. pp. 211-234.

Grundy C, Steinbach R, Edwards P, Green J, Armstrong B, Wilkinson P. Effects of 20 mph traffic speed zones on road injuries in London, 1986-2006: controlled interrupted time series analysis. British Medical Journal. 2009;339:b4469.

Jacobsen PL, Racioppi F, Rutter H. Who owns the road? How motorized traffic discourages walking and bicycling. Injury Prevention. 2009;15(6):369-373.

Jacobsen PL, Rutter H. Cycling safety. Dans J Pucher et R Buehler (Eds.), City Cycling.  Cambridge, MA: Massachusetts Institutes of Technology Press. pp. 141-156.

Larouche R, Faulkner G, Fortier M, Tremblay MS. Active transportation and adolescents’ health: the Canadian Health Measures Survey. American Journal of Preventive Medicine. 2014;46(5):507-515.

O’Loghlen S, Pickett W, Janssen I. Active transportation environments surrounding Canadian schools. Canadian Journal of Public Health. 2011;102(5):364-368.

Pucher J, Buehler R. Making cycling irresistible: lessons from the Netherlands, Denmark and Germany. Transport Reviews. 2008;28(4):495-528.

Pucher J, Buehler R. (2012). International overview: cycling trends in Western Europe, North America, and Australia. Dans J Pucher et R Buehler (Eds.), City Cycling.  Cambridge, MA: Massachusetts Institutes of Technology Press. pp. 9-30.

Wegman F, Aarts L. Advancing sustainable safety. Leidschendam, The Netherlands: Institute for Road Safety Research; 2006.

Winters M, Davidson G, Kao D, Teschke K. Motivators and deterrents of bicycling: comparing influences on decisions to ride. Transportation. 2011;38:153-168.



[i] Le billet d’aujourd’hui ne porte pas sur le port du casque, mais puisque le sujet est d’actualité, je tiens à mentionner que j’ai déjà discuté sur ce blogue des effets négatifs des règlements sur le port du casque sur la pratique du vélo, notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande. Le point à retenir pour aujourd’hui, c’est que le port du casque diminue la sévérité des blessures lors d’une collision, mais que d’autres mesures sont beaucoup plus importantes pour assurer la sécurité des cyclistes. Malheureusement, les gouvernements Anglo-Saxons mettent pratiquement tous leurs œufs dans le même panier en matière de sécurité à vélo ; certains, obligeant même les cyclistes à porter un casque. De plus, pour parvenir à leur fin, ils utilisent parfois des campagnes de publicité sensationnalistes qui font passer le vélo comme une activité dangereuse (voir cette montée de lait du lobbyiste Louis Garneau), ce qui peut encourager les gens à se déplacer en voiture et réduire la pratique du vélo (Jacobsen et al., 2009, 2012). À l’opposé, à partir des années 1970, les gouvernements de l’Europe du Nord – et particulièrement les Pays-Bas – ont mis en œuvre des politiques efficaces pour diminuer le nombre de collisions à la source. Non seulement ces politiques ont permis de réduire considérablement le nombre de blessures sérieuses ou mortelles (Pucher et Buehler, 2008), mais l’aménagement d’infrastructures cyclables de qualité encourage « monsieur et madame tout le monde » à opter pour le vélo (Winters et al., 2011).
[ii] Par exemple, les amendes pour l’utilisation du téléphone cellulaire au volant sont dérisoires et, semble-il fort peu dissuasives. 

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