Dans mon billet d’avant-hier, j’ai discuté de l’immense
popularité du vélo aux Pays-Bas. Un autre fait intéressant à noter c’est que 50
à 55% des trajets à vélo aux Pays-Bas sont effectuées par les femmes. Cette
proportion se situe également entre 45 et 55% au Danemark, en Allemagne, en
Suède et en Finlande – tous des pays où le vélo est un mode de transport
fréquemment utilisé (Garrard et al., 2012; Pucher et Buehler, 2008).
En contrepartie, dans les pays Anglo-Saxons dont le Canada,
70 à 80% des trajets à vélo sont effectués par les hommes (Garrard et al., 2012).
Par exemple, dans un de nos articles, nous avons observé que 4 fois plus de
garçons que de filles âgés de 12 à 19 ans font au moins une heure de vélo par
semaine dans le cadre de leurs déplacements (Larouche et al., 2014).
En somme, plus le pourcentage des trajets à vélo faits par
les femmes dans une ville (ou un pays) donné est élevée, plus le pourcentage
des déplacements à vélo est élevé. Mais pourquoi en est-il ainsi ?
L’hypothèse la plus communément acceptée pour expliquer ce phénomène
est que les femmes sont plus préoccupées par la sécurité routière que les
hommes et, justement, le vélo est beaucoup plus sécuritaire au Pays-Bas (Garrard
et al., 2012; Pucher et Buehler, 2008, 2012), et ce malgré le fait que presque
aucun cycliste ne porte un casque[i].
En fait, je n’ai pas vu un seul cycliste casqué pendant mon voyage, ni à
Utrecht, ni à Amsterdam et ni entre ces deux villes.
Par exemple, Pucher et Buehler (2012) ont comparé le nombre
d’accidents mortels à vélo pour chaque 100 millions de kilomètres parcourus
entre 5 pays. C’est au Pays-Bas que ce
taux est le moins élevé à 1,1 décès/100 000 000 km, comparativement à 1,6
au Danemark et en Allemagne, 3,3 au Royaume-Uni et 5,5 aux États-Unis. Même si
la probabilité de mourir d’un accident de vélo est extrêmement faible dans tous
ces pays, elle est tout de même 5 fois plus élevée aux États-Unis qu’aux
Pays-Bas. Les différences entre ces deux pays sont encore plus frappantes
lorsqu’on considère les accidents. Le nombre d’accidents pour chaque
10 000 000 km est 21 fois plus élevé aux États-Unis qu’aux Pays-Bas
(33,5 vs. 1,6).
À mon avis, l’adéquation
entre le code de la route et la loi de la cinétique est fort probablement la
principale raison qui explique ces énormes différences. Je m’explique. D’abord
la loi de la cinétique s’exprime par la formule E=mv2 où m
représente la masse et v, la vitesse. Remarquez que la vitesse est au carré, ce
qui indique que l’énergie cinétique augmente de façon exponentielle avec la
vitesse. D’où l’idée de diminuer les limites de vitesse pour réduire le risque
et la gravité des accidents comme j’ai discuté précédemment sur ce blogue.
Sur ce, revenons à la physique élémentaire avant de discuter
du code de la route et des politiques. À la lumière de l’équation ci-haut, il
est indiscutable que la masse et la vitesse du véhicule motorisé impliqué dans
une collision sont les principaux déterminants de la force d’impact. C’est là
où le code de la route entre en jeu.
Précisément, le volume et la vitesse de la circulation
détermine le type d’infrastructure cyclable qui DOIT être installé aux Pays-Bas
(oui, j’ai bien dit « doit » – et non pas « peut » – ce n’est
pas optionnel) (Furth, 2012; Wegman
& Aarts, 2006). Certaines rues locales appelées woonerf ont une limite de vitesse de 15 km/h et les piétons et
cyclistes sont libres d’y circuler en plein milieu de la rue ! À l’opposé, il
doit absolument y avoir une piste cyclable séparée du trafic ou une voie de
service avec une limite de vitesse plus basse parralèle aux routes où la
vitesse de la circulation est supérieure à 60 km/h. Le tableau ci-dessous donne
un aperçu du type d’infrastructure à aménager en fonction du volume et de la
vitesse de la circulation.
Configuration
|
Volume de circulation (véhicules/jour)
|
Rues locales (30 km/h)
|
Rue collectrice
|
Route rurale (60 km/h)
|
Route à circulation rapide (≥70 km/h)
|
Circulation à deux voies sans
ligne jaune
|
<2000
|
Aucune ou bande cyclable
peinturée
|
Bande cyclable ou piste cyclable
|
Bande cyclable peinturée
|
Piste cyclable ou voie de service
avec limite de vitesse plus basse
|
2000-3000
|
Aucune ou bande cyclable peinturée
|
Bande cyclable ou piste cyclable
|
Bande cyclable ou piste cyclable
|
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse
plus basse
|
|
3000-4000
|
Bande cyclable ou piste cyclable
|
Bande cyclable ou piste cyclable
|
Piste cyclable ou voie de service
avec limite de vitesse plus basse
|
Piste cyclable ou voie de service
avec limite de vitesse plus basse
|
|
˃4000
|
Bande cyclable ou piste cyclable
|
Bande cyclable ou piste cyclable
|
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse
plus basse
|
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse
plus basse
|
|
Deux voies
|
Peu importe
|
Bande cyclable ou piste cyclable
|
Bande cyclable ou piste cyclable
|
Piste cyclable ou voie de service
avec limite de vitesse plus basse
|
Piste cyclable ou voie de service
avec limite de vitesse plus basse
|
Quatre voies et plus
|
Peu importe
|
Cela n’existe pas !
|
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse
plus basse
|
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse
plus basse
|
Piste cyclable ou voie de service avec limite de vitesse
plus basse
|
Note :
la terminologie des voies cyclables peut être difficile à saisir. Voici les
définitions qui s’appliquent ici. Une bande cyclable peinturée n’offre
aucune séparation entre les cyclistes et les automobilistes. Une bande cyclable
(en bonne et due forme) fourni une séparation entre les cyclistes et les
automobilistes, sauf aux intersections. La séparation peut être un petit muret
de béton (comme on voit entre autres à Montréal et Ottawa), une chaussée
surélevée, etc. Enfin, une piste cyclable est une voie cyclable complètement
séparée de la circulation.
D’autre part, un autre aspect du code de la route
Néerlandais est que lors d’une collision, le fardeau de la preuve revient au
véhicule le plus gros. Autrement dit, l’automobiliste distrait qui a happé un peloton
de 6 cyclistes (faisant 3 victimes) sur la route 112 en Montérégie il y a
quelques années ne s’en serait pas tiré sans aucune accusation. Le système de
justice Néerlandais n’est pas aussi indulgent que le nôtre en ce qui a trait à
la distraction au volant[ii]
et le conducteur d’un véhicule potentiellement mortel y est tenu responsable de
ses actes.
Pendant ce temps-là, au Canada, on tolère que 42% des écoles
soient situées sur des routes où la limite de vitesse est d’au moins 60 km/h et
où il n’y a habituellement aucune infrastructure cyclable (O’Loghlen et al.
2011). Mes collègues néerlandais n’en reviennent pas que l’on tolère une telle
chose, d’autant plus que l’on sait qu’une grande étude longitudinale publiée
dans le British Medical Journal a
indiqué qu’une diminution des limites de vitesse a diminué le nombre de
collisions de 50% chez les jeunes Londoniens (Grundy et al., 2009).
Références
Furth PG. Bicycle infrastructure for mass cycling.
Dans J Pucher et R Buehler (Eds.), City
Cycling. Cambridge, MA:
Massachusetts Institutes of Technology Press. pp. 105-139.
Garrard J,
Rose G, Lo SK. Promoting transportation cycling for women: the role of bicycle
infrastructure. Preventive Medicine.
2008;46(1):55-59.
Garrard J,
Handy S, Dill J. Women and cycling. Dans
J Pucher et R Buehler (Eds.), City
Cycling. Cambridge, MA: Massachusetts Institutes of
Technology Press. pp. 211-234.
Grundy C,
Steinbach R, Edwards P, Green J, Armstrong B, Wilkinson P. Effects of 20 mph
traffic speed zones on road injuries in London, 1986-2006: controlled
interrupted time series analysis. British
Medical Journal. 2009;339:b4469.
Jacobsen
PL, Racioppi F, Rutter H. Who owns the road? How motorized traffic discourages
walking and bicycling. Injury Prevention.
2009;15(6):369-373.
Jacobsen
PL, Rutter H. Cycling safety. Dans J
Pucher et R Buehler (Eds.), City Cycling. Cambridge, MA: Massachusetts Institutes of
Technology Press. pp. 141-156.
Larouche R,
Faulkner G, Fortier M, Tremblay MS. Active transportation and adolescents’
health: the Canadian Health Measures Survey. American Journal of Preventive Medicine. 2014;46(5):507-515.
O’Loghlen
S, Pickett W, Janssen I. Active transportation environments surrounding
Canadian schools. Canadian Journal of
Public Health. 2011;102(5):364-368.
Pucher J,
Buehler R. Making cycling irresistible: lessons from the Netherlands, Denmark
and Germany. Transport Reviews. 2008;28(4):495-528.
Pucher J,
Buehler R. (2012). International
overview: cycling trends in Western Europe, North America, and Australia. Dans
J Pucher et R Buehler (Eds.), City
Cycling. Cambridge, MA: Massachusetts
Institutes of Technology Press. pp. 9-30.
Wegman F,
Aarts L. Advancing sustainable safety.
Leidschendam, The Netherlands: Institute for Road Safety Research; 2006.
Winters M,
Davidson G, Kao D, Teschke K. Motivators and deterrents of bicycling: comparing
influences on decisions to ride. Transportation.
2011;38:153-168.
[i] Le
billet d’aujourd’hui ne porte pas sur le port du casque, mais puisque le sujet
est d’actualité, je tiens à mentionner que j’ai déjà discuté sur ce blogue des effets négatifs des règlements sur le port du casque sur la pratique du vélo,
notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande. Le point à retenir pour
aujourd’hui, c’est que le port du casque diminue la sévérité des blessures lors
d’une collision, mais que d’autres mesures sont beaucoup plus importantes pour
assurer la sécurité des cyclistes. Malheureusement, les gouvernements
Anglo-Saxons mettent pratiquement tous leurs œufs dans le même panier en
matière de sécurité à vélo ; certains, obligeant même les cyclistes à porter un
casque. De plus, pour parvenir à leur fin, ils utilisent parfois des campagnes
de publicité sensationnalistes qui font passer le vélo comme une activité
dangereuse (voir cette montée de lait du lobbyiste Louis Garneau), ce qui peut
encourager les gens à se déplacer en voiture et réduire la pratique du vélo
(Jacobsen et al., 2009, 2012). À l’opposé, à partir des années 1970, les
gouvernements de l’Europe du Nord – et particulièrement les Pays-Bas – ont mis
en œuvre des politiques efficaces pour diminuer le nombre de collisions à la
source. Non seulement ces politiques ont permis de réduire considérablement le
nombre de blessures sérieuses ou mortelles (Pucher et Buehler, 2008), mais l’aménagement
d’infrastructures cyclables de qualité encourage « monsieur et madame tout
le monde » à opter pour le vélo (Winters et al., 2011).
[ii]
Par exemple, les amendes pour l’utilisation du téléphone cellulaire au volant
sont dérisoires et, semble-il fort peu dissuasives.
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