mardi 28 avril 2015

“No pain, no gain”???

Je voudrais réagir à un article trompeur de l’agence de presse Presse Canadienne paru dans plusieurs médias Québécois il y a quelques semaines dont notamment Radio-Canada, L’Actualité, Le Devoir et La Presse. (Ça fait un bout de temps que je mijote le billet d’aujourd’hui, mais j’ai été trop occupé dans les dernières semaines…)

Cet article rapportait les résultats d’une vaste étude Australienne parue dans la revue JAMA Internal Medicine et qui portait sur l’effet de la pratique d’activités physiques sur le risque de mortalité prématuré (Gebel et al., sous presse). La Presse Canadienne rapportait à tort que « Seule l’activité physique qui vous essouffle et vous couvre de sueur permet d’éviter la mort prématurée, démontre une vaste étude australienne menée auprès de gens d’âge moyen. » (sic) Ainsi, pour diminuer le risque de mortalité prématurée, il serait essentiel de s’adonner à des activités d’intensité élevée[i] selon La Presse Canadienne.

Soyons clairs : rien n’est plus faux ! L’activité physique d’intensité moyenne réduit aussi le risque de mortalité prématurée (ce qui a été observé dans au moins une centaine d’études longitudinales). Examinons quand même ce que l’étude Australienne ajoute réellement aux connaissances scientifiques sur le sujet.


Une grosse étude incomprise…

D’abord, entre 2006 et 2009, pas moins de 204 542 adultes Australiens âgés de 45 à 75 ans ont répondu à un questionnaire sur leur pratique d’activités physique. En juin 2014, les chercheurs ont consulté le registre officiel des décès dans la province de New South Wales où a eu lieu l’étude. Durant une période de suivi moyenne de 6,5 ans, 7435 participants sont décédés.

En contrôlant pour une série de variables qui auraient pu affecter les résultats (dont l’âge au début de l’étude, le sexe, le niveau d’éducation, le statut matrimonial, l’indice de masse corporelle, le tabagisme, la consommation d’alcool et la consommation de fruits et légumes), les chercheurs ont noté que les participants qui rapportaient au moins 150 minutes d’activité physique d’intensité moyenne à élevée étaient environ 2 fois moins à risque d’être décédés durant la période de suivi.

Ensuite, les chercheurs ont estimé le pourcentage de l’activité physique rapportée par les participants qui était effectué à une intensité élevée[ii] (soit au moins 6 équivalents métaboliques – voir note de bas de page pour l’explication de ce concept). Ils ont classifié leurs participants en 3 groupes soit : 1) ceux qui ne faisaient aucune activité d’intensité élevée; 2) ceux dont l’activité d’intensité élevée représentait de 0 à 30% de la quantité d’activité physique rapportée; et 3) ceux dont l’activité d’intensité élevée représentait plus de 30% de la quantité d’activité physique rapportée.

Leurs résultats indiquent qu’indépendamment du temps consacré aux activités d’intensité moyenne, les participants qui faisaient davantage d’activité physique d’intensité élevé avaient un risque de mortalité prématurée inférieur (soit de 9% et 13% pour les groupes 2 et 3 respectivement). Ces résultats indiquent que l’activité physique d’intensité élevée amène des bienfaits additionnels pour la santé, mais contrairement à ce que prétend faussement l’article de la Presse Canadienne, ils n’indiquent aucunement que l’activité physique d’intensité plus faible n’a pas d’effet sur le risque de mortalité prématurée.


Qu’indiquent les autres études sur le sujet?

Dans l’ensemble, les études sur le sujet illustrent généralement ce qu’on appelle dans le jargon scientifique une relation dose-réponse curvilinéaire entre la pratique d’activité physique et la diminution du risque relatif de mortalité prématurée (Dishman et al., 2013; Kelly et al., 2014; Woodcock et al., 2011).

Qu’est-ce que cela veut dire en français? Que les bienfaits les plus importants de l’activité physique surviennent lorsqu’on passe d’un mode de vie sédentaire à un mode de vie un peu plus actif. À mesure qu’on augmente la durée, la fréquence (soit le nombre de séances par semaine) ou l’intensité, le risque de mortalité prématurée continue à diminuer, mais cette diminution devient graduellement de plus en plus lente. Il est tout à fait normal qu’il en soit ainsi. Nous allons tous mourir un jour, que l’on fasse le Tour de France ou non !

Pour les visuels, la figure ci-dessous illustre une relation dose-réponse curvilinéaire et le risque de mortalité prématurée (notez que la forme exacte de la courbe peut varier d’une étude à l’autre). En combinant plusieurs études sur le sujet, Kelly et ses collègues (2014) ont observé, auprès d’un échantillon combiné de plus de deux millions de participants, qu’un adulte qui marche 170 minutes par semaine à une intensité moyenne (ici 4 équivalents métaboliques – voir la note en bas de page pour l’explication de ce concept) bénéficie d’une réduction d’environ 11% de son risque de mortalité. En faisant une activité plus intense (aller travailler en vélo à une intensité de 6,8 équivalents métaboliques), ça prend environ une heure de moins par semaine pour obtenir une réduction comparable du risque de mortalité prématurée d’après la même étude.



Cela dit, la morale de cette histoire, c’est qu’il n’est pas nécessaire de pédaler comme un Lance Armstrong « boosté » à l’érythropoïétine (EPO[iii]) pour que notre activité physique améliore notre santé et réduise notre risque de mortalité prématurée.

C’est donc un message très positif et c’est pour cette raison que j’ai été très déçu que l’article de la Presse Canadienne obscurcisse inutilement le message qui commençait enfin à passer[iv] après des décennies d’efforts en promotion de la santé.

“Is no pain, no gain passé?”

Tel était le titre d’un article publié en 2001 dans le Journal of the American Medical Association par la professeure I Min-Lee de l’école de santé publique de l’Université Harvard qui visait justement à mettre les pendules à l’heure.

Dans cette étude, 39 372 professionnelles de la santé ont rapporté leur pratique d’activités physiques et, par la suite, elles ont été suivies durant 4 à 7 ans. Au total, 244 cas de maladie coronarienne ont été recensés. Les femmes qui marchaient au moins 1 heure par semaine étaient 2 fois moins à risque de développer la maladie coronarienne, peu importe leur vitesse de marche habituelle. L’activité physique d’intensité élevée apportait sensiblement la même diminution du risque. D’où le titre de l’article…


Conclusion

En conclusion, l’activité physique est bénéfique pour la santé, qu’elle soit d’intensité faible, moyenne ou élevée. Puisque je suppose que l’auteur de l’article de la Presse Canadienne a abandonné la lecture de l’article de Gebel et ses collègues lorsqu’il était question des modèles de régression proportionnels de Cox[v], je vais insister sur la recommandation principale des auteurs :

« Donc, dans les futures lignes directrices sur l’activité physique, il serait raisonnable d’encourager les gens qui sont capables de s’adonner à des activités d’intensité élevée à le faire en incluant des énoncés comme : « Si vous le pouvez, effectuez régulièrement des activités d’intensité élevée pour obtenir des bienfaits supplémentaires pour la santé ».


Références

Dishman RK, Heath GW, Lee I-M. Physical activity epidemiology. Champaign, IL: Human Kinetics; 2013. 585p.

Gebel K, Ding D, Chey T, Stamatakis E, Brown WJ, Bauman AE. Effect of moderate to vigorous physical activity on all-cause mortality in middle-aged and older Australians. JAMA Internal Medicine. In press.

Kelly P, Kahlmeier S, Götschi T, Orsini N, Richards J, Roberts N, Scarborough P, Foster C. Systematic review and meta-analysis of reduction in all-cause mortality from walking and cycling and shape of dose response relationship. International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity. 2014;11:132.

Lee I-M, Rexrode KM, Cook NR, Manson JE, Buring JE. Physical activity and coronary heart disease in women: Is “no pain, no gain” passé? Journal of the American Medical Association. 2001;285:1447-1454.

Woodcock J,Franco OH, Orsini N, Roberts I. Non-vigorous physical activity and all-cause mortality: systematic review and meta-analysis of cohort studies. International Journal of Epidemiology. 2011;40(1):121-138.




[i] Incorrectement traduit comme activité physique vigoureuse – un faux-ami – dans l’article de la Presse Canadienne. Désolé pour la longue note de bas de page, mais je crois qu’une petite introduction à la mesure de l’intensité pourra aider certains lecteurs à mieux comprendre mon texte d’aujourd’hui. Il y a essentiellement deux familles de mesures de l’intensité de l’activité physique. La méthode utilisée dans l’étude dont je discute aujourd’hui est basée sur les équivalents métaboliques (aussi appelés METs – de l’anglais metabolic equivalents). 1 MET équivaut à la dépense énergétique de repos, soit lorsqu’on est assis devant le petit écran. Traditionnellement, on utilise 3 catégories d’intensité, soit faible (moins de 3 METs), moyenne (3 à 5,99 METs) et élevée (6 METs et plus). Les lignes directrices Canadiennes sur la pratique d’activité physique sont basées sur cette méthode. Elles recommandent notamment aux adultes de faire au moins 150 minutes par semaine d’activités physiques d’intensité moyenne à élevée (c’est-à-dire ≥ 3 METs). La limite principale de cette méthode est que le nombre maximal de METs que l’on peut atteindre dépend de sa condition physique. Par exemple, les meilleurs skieurs de fonds, coureurs, triathlètes et cyclistes peuvent endurer environ 25 METs pendant quelques minutes, donc pour eux, 6 METs représente moins de 25% de leur capacité maximale, une intensité qu’ils pourraient endurer durant plus de 24 heures consécutives ! Inversement, plusieurs personnes souffrant de maladies chroniques comme l’insuffisance cardiaque ne peuvent endurer 6 METs que pendant quelques secondes. L’autre façon de décrire l’intensité de l’activité physique est de l’exprimer en fonction de la capacité maximale d’une personne ; on parlera alors d’intensité relative. Dans cette famille, on retrouve notamment la fréquence cardiaque maximale et la consommation maximale d’oxygène (soit VO2max). Le désavantage des mesures basées sur l’intensité relative est qu’il faut d’abord évaluer la capacité maximale. Par contre, l’avantage indéniable est qu’une mesure suffisamment précise de sa capacité maximale nous permettra de développer un plan d’entraînement plus efficace pour améliorer sa condition physique.
[ii] Il est à noter que les chercheurs n’ont pas tenu compte de l’activité physique d’intensité faible dans leurs calculs.
[iii] Hormone qui stimule la production de globules rouges, permettant ainsi de transporter plus d’oxygène vers les muscles actifs.
[iv] Par exemple, je veux dire que les gens commencent enfin à réaliser que la marche peut représenter une source importante d’activité physique d’intensité moyenne.
[v] Il s’agit d’une des méthodes statistiques les plus utilisées dans les analyses longitudinales dont l’objectif est de comparer l’occurrence d’un évènement (ici, la mort) entre différent groupes de personnes (ici, les adultes rapportant différents volumes d’activité physique).

1 commentaire:

  1. En passant, les auteurs de l'article ont publié un éditorial dans la revue Journal of Physical Activity and Health qui discute des mauvaises interprétations faites par plusieurs médias anglophones: http://journals.humankinetics.com/jpah-current-issue/jpah-volume-12-issue-4-april/vigorous-physical-activity-and-all-cause-mortality-a-story-that-got-lost-in-translation

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