vendredi 27 avril 2012

L’urbanisme à la Tim Hortons

Le quotidien Ottawa Citizen publiait samedi dernier un article de fond sur le développement urbain de la capitale fédérale au cours des 50 dernières années avec plusieurs tableaux et figures. La ville d’Ottawa est caractérisée par un étalement urbain grandissant ; les banlieues prolifèrent et les bungalows sont érigés par milliers sur d’anciennes terres agricoles. Or, les lieux de travail demeurent principalement dans la ville centre. Résultats : le citoyen moyen vit de plus en plus loin de son travail et génère énormément de gaz à effet de serre en faisant la navette – principalement en voiture – entre la ville-centre et la banlieue-dortoir.

Dans ce modèle d’urbanisme typique des villes Nord-Américaines, le développement se fait principalement par la construction d’édifices, de grands stationnements et d’hideux centres d’achat (ex : le quartier DIX-30 à Montréal) aux extrémités de la ville. Pendant ce temps, les centre-ville peinent à conserver leur population, d’où l’analogie avec le beigne (e.g. Tim Hortons).

Ce modèle de développement a été décrié au cours des dernières années autant par les écologistes inquiets par la pollution et le réchauffement climatique que par les professionnels de la santé et certains urbanistes qui ont démontré des liens entre l’étalement urbain, la sédentarité et le risque de maladies chroniques. De plus, les coûts pour acheminer les services municipaux (aqueducs, transport en commun, collecte des ordures, etc.) représentent un fardeau économique plus important lorsque la densité de population est faible. Malgré cela, la plupart des villes Nord-Américaines continuent à s’étaler de plus en plus.


Revenons à Ottawa…

Justement l’article de l’Ottawa Citizen dont je parlais indique que, d’après les données du recensement, pas moins de 83% de la croissance de la population d’Ottawa depuis 2006 a eu lieu dans les banlieues et les zones rurales tel qu'illustré dans la figure ci-dessous. Ceci indique que l'étalement urbain ne ralentit pas. Des quartiers qui n’existaient même pas en 1961 ont poussé comme des champignons pour devenir Orléans (108 050 habitants), Kanata (78 550 habitants) et Barrhaven (71 600 habitants)… À l’opposé, seulement 5% de la croissance s’est produite dans le trou de beigne, euh, dans le centre-ville.


Il y a une cinquantaine d’années, l’urbaniste Français Jacques Gréber avait été engagé pour améliorer l’image de la capitale fédérale, alors une ville de 250 000 habitants. Sa « vision » était celle d’une ville dont la population atteindrait 500 000 environ 50 ans plus tard et qui serait entourées de rivières, de parcs et d’espaces verts. C’est ainsi que fut créé la ceinture de verdure qui se veut en quelque sorte le poumon de la ville.

Cependant, la croissance de la population a été plus rapide et les promoteurs immobiliers ont mis de la pression pour construire à l’extérieur de ladite ceinture, là où les terrains sont moins dispendieux et donc là où ils peuvent maximiser leurs profits. À la fin des années 1960, le gouvernement régional, s’est fait l’allié des promoteurs en prônant un développement axé sur l’axe Orléans-Kanata-Barrhaven. Hormis le court embargo sur le pétrole arabe au début des années 1970, le prix de l’essence peu élevé a aussi facilité l’exode vers les banlieues.

Le plan d’origine prévoyait que ces trois communautés ne deviendraient pas simplement les banlieues dortoirs que l’on connaît aujourd’hui, mais plutôt des communautés où les gens vivent, travaillent et s’adonnent à leurs loisirs. Depuis 1971, la population vivant à l’extérieur de la ceinture de verdure a augmenté de 1700% (non je n’ai pas écrit un zéro de trop) passant de 16 000 à plus de 300 000. Les lieux de travail n’ont pas suivi la migration de la population. Par conséquent, ce plan représente, à mon avis, un échec lamentable.


Aveuglement volontaire ?

Quant à lui, le directeur du service d’urbanisme, John Moser, reconnaît que les coûts associés à l’étalement urbain sont très élevés, mais il refuse l’idée que l’étalement est hors de contrôle. Il affirme, et je cite : « Nous ne sommes pas en train de perdre la bataille de l’étalement urbain ; l’étalement, c’est lorsque vous n’avez pas le contrôle sur ce que vous développez. À Ottawa, nous croissons de façon intelligente, nous croissons du centre vers l’extérieur et nous avons connu du succès à cet égard » (sic).

S’il est vrai que les communautés qui ont crû le plus sont bien celles d’Orléans, Kanata et Barrhaven, ces communautés dortoir sont caractérisées par une faible densité, un zonage peu diversifié et des rues mal connectées. Ces caractéristiques favorisent l’utilisation de l’automobile, d’autant plus qu’hors du Transitway, le service de transport en commun n’est pas très efficace. De plus, 80% des emplois sont situés à l’intérieur de la ceinture de verdure, d’où les embouteillages quotidiens et les émissions de gaz à effet de serre qui leur sont associés.

Planifié ou non, ce modèle de développement n’est pas souhaitable ; dès lors, il est dommage de voir certains fonctionnaires municipaux s’auto-congratuler. Il faudrait plutôt s’exercer à trouver des solutions pour densifier les quartiers centraux, et je ne parle pas simplement de construire des tours à condos qui coûtent une fortune. Il faudrait également construire des logements sociaux pour les gens moins fortunés et des maisons en rangée pour les familles. Il est dommage que les gouvernements ignorent les recommandations en ce sens d’organismes comme le Front d’action populaire en réaménagement urbain.

D’autre part, il faudrait favoriser le zonage mixte dans les banlieues afin qu’un plus grand nombre d’entreprises s’y installent, réduisant ainsi la distance moyenne que les habitants d’Orléans, Kanata et Barrhaven parcourent à chaque jour ouvrable. Il serait également possible de faire de la densification dans ces secteurs, ce qui permettrait de rendre le transport en commun plus rentable et de réduire l’empreinte écologique des banlieues. Hélas, avant que de tels plans soient inaugurés, il faudrait que le service d’urbanisme cesse d’ignorer l’éléphant dans la pièce !


Ailleurs aussi…

D’ailleurs, ce type de développement est loin d’être exclusif à Ottawa. Par exemple, les « couronnes » nord et sud entourant l’île de Montréal ont connu une croissance fulgurante depuis une cinquantaine d’années, là aussi au détriment des terres agricoles ; l’aéroport de Mirabel en est d’ailleurs un bon exemple. Durant les 4 ans où j’ai vécu à Trois-Rivières, j’ai été témoin de la destruction de plusieurs milieux humides pour différents projets immobiliers, et ce malgré la stagnation de la population. Du côté de Québec, le maire Labeaume s’est dit favorable à la densification le long des principaux trajets des autobus municipaux, mais les projets concrets se font attendre alors que les banlieues s’approchent de Saint-Tite-des-Caps (étant natif de La Malbaie, j’ai bien vu les bungalows pousser comme des champignons à Beaupré, juste au pied de la côte de la miche). C’est sans parler des banlieues de Toronto et d’Hamilton qui se chevauchent à un tel point que l’on peut se demander quand la première avalera la seconde. Bref, l’urbanisme à la Tim Hortons est malheureusement largement répandu…

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