jeudi 1 mars 2012

Quand les politiques de transport favorisent les accidents routiers

Croyez-le ou non, les politiques d’ingénérie de l’American Association of State Highway and Transportation Officials (AASHTO) découragent l’aménagement de bandes cyclables (cycle tracks) parallèles à la route, mais séparées du trafic comme on en retrouve un peu partout aux Pays-Bas et en Scandinavie. L’association prétend que ce genre d’infrastructure n’est pas sécuritaire. Par conséquent, elle ne permet l’installation de bandes cyclables seulement dans des situations spéciales. Devrais-je ajouter que cette politique a grandement ralenti le développement du réseau cyclable États-Unien? Qui plus est, il semble que cette politique ne s’appuie pas sur des données empiriques.

Afin de vérifier si une telle politique était fondée ou non, des chercheurs Québécois ont fait équipe avec d’autres chercheurs de l’Université Harvard. Ils ont comparé le risque d’accident chez les cyclistes et le risque de collision avec des automobilistes en comparant 6 bandes cyclables Montréalaises avec autant de rues limitrophes sans infrastructures cyclables. Pour ce faire, ils ont mesuré objectivement le trafic sur les 12 tronçons ciblés et ils ont obtenus les données sur les accidents à partir des relevés médicaux.

Leurs résultats, publiés dans la revue Britannique Injury Prevention (Lusk et al., 2011) indiquent qu’en moyenne, le risque d’accident sur les bandes cyclables était de 28% inférieur à celui sur les tronçons témoins. Avis aux cyclistes Montréalais : le risque d’accident sur les bandes cyclables des rues Maisonneuve et Brébeuf était plus de deux fois inférieur à celui des rues témoin.

Ces résultats vont donc à l’encontre de la politique de l’ l’American Association of State Highway and Transportation Officials. Malheureusement, cette approche n’est pas seulement préconisée aux États-Unis. Il est plutôt fréquent que les opposants à la construction d’aménagements cyclables y aient recours. Il me semble donc pertinent d’illustrer d’où vient cette théorie.


Les « vehicular cyclists » démasqués…

La politique en question provient d’un mouvement Anglo-saxon appelé « vehicular cycling » dont les membres les plus connus sont sans contredit John Forester aux États-Unis et John Franklin en Angleterre. Comme son nom l’indique, ce mouvement prétend que les cyclistes devraient se comporter (et être traités) comme des automobilistes, peu importe la différence de poids entre les vélos et les voitures. Certains de ses adeptes se décrivent même comme des « conducteurs » de vélo.

Ce mouvement rejette du revers de la main l’aménagement de bandes cyclables comparables à celles des Pays-Bas et de la Scandinavie en affirmant que celles-ci seraient inefficaces dans le contexte nord-américain. Ainsi, il s’oppose bec et ongles à la construction d’aménagements cyclables. Or, après plus de 35 ans d’existence, les vehicular cyclists n’ont toujours pas été en mesure d’appuyer leur théorie avec des données empiriques.


Un mouvement critiqué…

Il n’est donc pas étonnant que ce mouvement soit sévèrement critiqué par les militants favorisant le développement des infrastructures cyclables dans le but de promouvoir le vélo et, dans une moindre mesure, par les scientifiques. Par exemple, sur son blogue Copenhagenize, Mikael Colville-Andersen n’y va pas de main morte dans sa critique de la fermeture d’esprit des vehicular cyclists. Ces derniers ont typiquement recours au sophisme pour contredire les résultats des études scientifiques qui remettent en question leur théorie.

La critique de Jeff Mapes dans son livre Pedaling revolution portant sur la réémergence du vélo dans certaines villes États-Uniennes est plus nuancée. Il reconnaît d’une part que M. Forester a toujours défendu le droit des cyclistes d’utiliser les routes publiques en respectant le code de la route. Par contre, il critique le fait que M. Forester s’est opposé systématiquement aux bandes cyclables et à toute mesure d’apaisement de la circulation et qu’il est favorable à l’étalement urbain qui entraîne la dépendance à l’automobile caractéristique de la plupart des villes nord-américaines.

Quant à lui, le Dr. John Pucher et ses collègues ont publié de nombreuses études comparant l’état du vélo dans plusieurs pays. D’après ses données, aux Pays-Bas, on compte 1,1 cyclistes tués pour 100 millions de km parcourus et 1,4 cyclistes blessés par 10 millions de km parcourus. Les données correspondantes aux États-Unis sont de 5,8 décès par 100 millions de km parcourus et 37,4 cyclistes blessés par 10 millions de km parcourus. La figure ci-dessous est très éloquente à cet égard (source: Pucher & Buehler, 2008).



C’est donc dire que, pour un kilométrage équivalent, un cycliste États-Unien est plus de 5 fois plus à risque d’accident mortel et près de 27 fois plus susceptible de subir une blessure suite à une collision routière qu’un cycliste Néerlandais. Bien entendu, cette énorme différence n’est pas attribuable uniquement aux pistes cyclables.

Par contre, la présence de pistes cyclables est aussi associée à une augmentation du nombre de cyclistes, même aux États-Unis (Dill et Carr, 2003), et ce particulièrement chez les femmes qui ont, en général, une aversion du risque plus prononcé que les hommes. Alors que seulement 24% des trajets à vélo sont effectués par les femmes aux États-Unis, ce taux est légèrement au-dessus de 50% aux Pays-Bas et au Danemark.

C’est également dans les pays qui ont priorisé le développement des infrastructures cyclables et qui ont implanté des politiques pro-vélo que les parts modales sont les plus élevées (Pucher & Buehler, 2008). À l’opposé, les revendications des vehicular cyclists ont tendance à faire du vélo la chasse-gardée des hommes adultes qui veulent rouler rapidement, tout en décourageant les femmes, les enfants et les personnes âgées d’enfourcher leur vélo.


Références

American Association of State Highway and Transportation Officials. Guide for the development of bicycle facilities. Washington, DC: AASTHO, 1999.

Dill J, Carr T. Bicycling commuting and facilities in major U.S. cities: if you build them, commuters will use them. Transportation Research Record 2003;1828:116-123.

Lusk A, Furth PG, Morency P, Miranda-Moreno LF, Willett WC, Dennerlein JT. Risk of injury for bicycling on cycle tracks versus in the street. Inj Prev 2011;17:131-135.

Mapes J. Pedaling revolution. Corvallis, OR: Oregon University Press, 2009.

Pucher J. Buehler R. Making cycling irresistible: lessons from the Netherlands, Denmark, and Germany. Transport Reviews. 2008;28:1-34.

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