vendredi 17 février 2012

La France souhaite quadrupler la part modale du vélo d’ici 2020

J’ai appris dernièrement que la France a dévoilé un plan national sur le vélo le 26 janvier 2012 dont l’objectif est d’augmenter la part modale du vélo de 1% par année afin d’atteindre 12% d’ici 2020. Ce plan de 31 pages peut être téléchargé sur ce site web. Dans un premier temps, le plan présente un aperçu des bienfaits du vélo aux points de vue environnemental, économique et de la santé. Ensuite, une séries de mesures sont proposées afin d’atteindre l’objectif de quadrupler la part modale d’ici 2020.

Je vais commenter les forces et les faiblesses de ce plan un peu plus loin, mais voici d’abord un bref aperçu de l’état du vélo en France. Premièrement, je crois que certains lecteurs Québécois pourraient être surpris d’apprendre que, malgré le Tour de France et la riche histoire du vélo en France, la part modale actuelle n’est que de 3% et le Français moyen ne parcourt que 87 km à vélo annuellement. Bien qu’elle soit supérieure à celle du Québec et du Canada (autour de 1,3%), la part modale Française est comparable à celle de San Francisco et nettement inférieure à celle des Pays-Bas, des pays Scandinaves et de l’Allemagne.

C’est justement Strasbourg – à deux pas de l’Allemagne – qui détient une énorme longueur d’avance sur le peloton Français avec une part modale d’environ 15% dans la ville centre et 9% dans l’agglomération. Viennent ensuite Nantes et Grenoble (pourtant située au pied des Alpes) à 5-6%. Quant à elles, Paris, Lyon et Lille ont des parts modales de 2-3%, donc ces villes ne se démarquent pas de la moyenne nationale. Ces grandes villes ne se distinguent donc pas vraiment de Montréal et Ottawa-Gatineau.


Des mesures intéressantes…

Outre l’objectif d’augmentation de la part modale, le plan propose certaines mesures intéressantes. D’abord, il y a un désir de modifier le code de la route de façon à favoriser les déplacements à vélo et de développer le réseau cyclable, notamment en améliorant sa connectivité. Le plan insiste d’ailleurs sur l’importance de « considérer le vélo comme un outil devenant normal, ordinaire, à la mesure de son intérêt individuel et collectif (page 14) ». Ceci revient à modifier la norme sociale et à promouvoir les bienfaits du vélo aux points de vue de la santé, de l’environnement et de l’économie.

Une autre proposition importante consiste à passer du modèle d’urbanisme axé sur l’automobile à un modèle centré sur les transports alternatifs en général, et le vélo en particulier. Plusieurs scientifiques insistent sur l’impact des politiques d’urbanisme sur la répartition des parts modales (voir Larouche et Trudeau, 2010 pour un bref aperçu en français). Le plan propose aussi d’améliorer l’offre de stationnement pour vélos, notamment dans les habitats collectifs, et de faciliter la combinaison du vélo et du transport collectif.

Il est également proposé de faire en sorte que les rues avec une limite de vitesse à 30 km/h deviennent la norme plutôt que l’exception, afin de réduire la gravité des dommages causés par les collisions entre voitures et cyclistes. Une vaste  étude longitudinale Britannique parue dans British Medical Journal démontre justement les bienfaits des limites de vitesse de 20 milles à l’heure (32 km/h) (Grundy et al., 2009). La réduction du risque de mortalité ou d’accident grave attribuable aux plus basses limites de vitesse était d’ailleurs plus prononcée chez les enfants.

Une autre mesure intéressante consiste à « mettre en place un dispositif incitant les entreprises à mettre des vélos à la disposition des salariés (prêt gratuit avec option d’achat, achats groupés…) et à aménager des équipements (vestiaires, douches, parkings) nécessaires ». Parallèlement, le plan propose de mettre en place un crédit d’impôts pour les cyclistes utilitaire s’inspirant d’une mesure implantée en Belgique depuis 15 ans, et de réduire la taxation sur les réparations de vélo.


Des objectifs non-spécifiques et sans échéancier…

Les psychologues, tout comme de nombreux professionnels dans des domaines aussi variés que la médecine et l’administration, recommandent généralement d’adopter des objectifs « SMART ». (Non, je ne fais pas un jeu de mots avec les téléphones dits « intelligents »). C’est une notion que j’ai apprise dans un cours de premier cycle universitaire en psychologie de la santé.

L’acronyme signifie plutôt que les objectifs Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes et qui sont établis dans une période de Temps définie sont plus susceptibles d’être atteints. À titre d’exemple, ma collègue Anne Marie Hospod explique de façon très simple comment établir de tels objectifs pour augmenter sa pratique d’activités physiques sur ce site web.

La principale limite du plan Français à cet égard est qu’hormis le but d’augmenter la part modale, la plupart des objectifs ne sont pas chiffrés. Ainsi, il peut être difficile de déterminer, en cours de route, si le chemin accompli vers la réalisation des objectifs est satisfaisant ou non.

Deuxièmement, plusieurs objectifs ne sont pas très spécifiques. Il faudrait à mon avis identifier plus clairement à qui revient la responsabilité de mettre en place les mesures proposées de manière à éviter que personne ne s’en occupe. L’omission d’une telle répartition des tâches pourrait engendrer un phénomène d’émiettement de la responsabilité.

Troisièmement, aucun échéancier précis n’est prévu pour l’atteinte de la plupart des objectifs. Ceci pourrait avoir pour effet de retarder leur implantation.


Du réchauffé?

Certains représentants des associations cyclistes prétendent qu’une grande partie des mesures proposées étaient déjà prévues. Par exemple, Geneviève Laferrère affirmait : « Ce plan se contente d’accélérer des mesures bloquées sans raison par l’État depuis 2 ans ». Un bon exemple est le virage à droite au feu rouge pour les cyclistes. Ce n’est rien d’innovateur comparativement à la loi de l’Idaho aux États-Unis qui permet aux cyclistes de traiter les arrêts comme des cédez et les feu rouges comme des arrêts… D’autres associations déplorent que la mise en place de l’indemnité kilométrique visant à récompenser les adeptes du vélo-boulot demeure hypothétique.


Mais où sont donc les références???

En tant que chercheur universitaire, j’ai également remarqué que le plan ne cite pas ses sources. Vu que le transport actif est mon domaine de recherche, je peux déduire plusieurs des sources qui ont été consultées, mais il n’en demeure pas moins qu’en omettant les références, les auteurs risquent de s’attirer la critique. J’espère donc qu’ils sauront palier à cette limite aussitôt que possible.

En conclusion, le nouveau plan national Français présente un objectif ambitieux en ce qui a trait au vélo utilitaire qui, s’il était atteint, permettrait à la France d’atteindre en 2020 une part modale similaire à celle qu’on déjà atteint des pays comme la Suède, la Norvège et la Finlande. Le plan présente plusieurs mesures intéressantes qui pourraient effectivement contribuer à encourager la pratique du vélo. Par contre, il me semble que ce plan « manque de dents » et qu’il sera dès lors plus difficile de mettre en place des mesures contraignantes visant à rendre l’utilisation de l’automobile moins attrayante.



Références

Grundy C, Steinbach R, Edwards P, Armstrong B, Wilkinson P. Effect of 20 mph traffic speed zones on road injuries in London, 1986-2006: controlled interrupted time series analysis. BMJ 2009;339:b4469.

Larouche R, Trudeau F. Étude des impacts du transport actif sur la pratique d’activités physiques et la santé et de ses principaux déterminants. Science & Sports 2010;25(5):227-237.

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