vendredi 3 février 2012

Bonnes intentions, mais mauvais résultats...


Le débat sur les lois concernant le port du casque de vélo se caractérise souvent en un affrontement entre d’un côté, des gens qui veulent maximiser la sécurité à tout prix et, de l’autre, des libertaires qui refusent systématiquement toute contrainte aux libertés individuelles.

Malgré tout, peu d’États ont adopté des lois rendant le port du casque. À ma connaissance, de telles lois ne sont en vigueur pour l’ensemble de la population qu’en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Colombie-Britannique. En Ontario et dans certains états Américains, les jeunes de moins de 18 ans doivent obligatoirement porter un casque (mais il est possible de constater un certain laisser-aller dans l’application du règlement, du moins en Ontario), tandis qu’un règlement similaire a été adopté en 2011 par la ville de Sherbrooke au Québec.

L’idée derrière les règlements est que, ceteris paribus, si tous les cyclistes portaient un casque (qui répond aux normes de sécurité établies et qui est positionné adéquatement, bien entendu), il devrait y avoir une réduction du nombre de blessures à la tête. Dès lors, il est primordial de se demander si le fameux ceteris paribus tient la route.

Il y a quelques mois, j’ai écrit un billet sur ce blogue discutant de l’efficacité des règlements sur le port du casque. Ce billet était basé en partie sur une revue systématique des études longitudinales avec groupe témoin qui a été publiée dans la réputée base de données Cochrane (MacPherson et Spinks, 2009). Les principales conclusions étaient les suivantes : 1) Le port du casque entraîne une modeste diminution des blessures à la tête; 2) Les études publiées jusqu’à maintenant avaient des limites importantes, dont notamment le fait de ne pas avoir examiné l’impact de ces règlements sur la pratique du vélo; et 3) Les règlements obligeant le port du casque ne sont qu’une mesure parmi tant d’autres pour réduire le risque de blessures à la tête.


Les tendances Océaniennes

Dans le billet d’aujourd’hui, je vais me concentrer sur la conclusion #2. En fait, les défenseurs des règlements obligeant le port du casque prétendent fréquemment qu’il n’y a aucune preuve qui démontre que lesdits règlements diminuent la pratique du vélo.  Or, les résultats de plusieurs études Océaniennes indiquent précisément le contraire d’après la recension des écrits d’un nouvel article des professeurs Rissel et Wen (2011) paru en décembre dans Health Promotion Journal of Australia.

En Australie, le règlement a été adopté en 1991 et il a entraîné des diminutions de :
-          25 à 38% du nombre de cyclistes en Australie Occidentale;
-          47% du nombre de jeunes qui vont à l’école à vélo dans la province du New South Wales (la plus populeuse du pays);
-          29% du nombre d’adultes qui font du vélo à Melbourne (et 42% chez les enfants)

En Nouvelle-Zélande, le règlement a été adopté en 1994 et il y a eu une diminution de 51% du nombre de trajets effectués à vélo entre 1989-1990 et 2003-2006. D’ailleurs, cette diminution a même été accompagnée d’une augmentation du risque de blessures chez les cyclistes (Tin Tin et al., 2011).

Le principe du risque dans la rareté (risk in scarcity), c’est-à-dire qu’un mode de transport devient plus dangereux lorsqu’il devient plus rare, est la principale explication avancée par ces auteurs. Les lecteurs assidus auront deviné qu’il s’agit du corollaire du principe de sécurité du nombre (safety in numbers)…

Pour tenter d’expliquer le manque d’efficacité de ces règlements sur les taux de blessures, d’autres chercheurs (ex : Robinson, 2006) suggèrent que les gens pourraient être portés à prendre plus de risques lorsqu’ils portent un casque. Un chercheur Britannique a observé directement la distance que les automobilistes accordent lorsqu’ils dépassent un cycliste (Walker, 2007). Ses résultats indiquent que les automobilistes laissaient moins d’espace lorsqu’ils dépassent un cycliste casqué, augmentant ainsi le risque de collision.


Et si on retournait en arrière ?

Dans leur nouvelle étude, Rissel et Wen (2011) ont posé la question inverse : qu’adviendrait-il si le règlement obligeant le port du casque était aboli à Sydney? Pour ce faire, ils ont interrogé 600 individus au téléphone.  Leurs résultats indiquent que même si le règlement était aboli, près de 50% des individus ne feraient pas de vélo sans casque. Il est aussi intéressant de constater que les gens qui étaient les plus favorables au maintien du règlement étaient ceux qui affirmaient qu’ils ne faisaient jamais de vélo ! Les chercheurs supposent que c’est parce qu’ils ont été convaincus que le vélo est dangereux, étant donné que certains médias de Sydney font une couverture plutôt sensationnaliste des accidents (comme ici d’ailleurs !).

Cependant, le résultat principal de cette étude est que 22,6% des individus interrogés affirment qu’ils feraient davantage de vélo. Cette proportion était plus élevée chez ceux qui faisaient du vélo entre une fois par mois et quelques fois par semaine. Même si seulement la moitié des gens passaient de la parole à l’action, ceci aurait des impacts considérables sur la part modale du vélo, la congestion routière, la pollution atmosphérique et la pratique d’activités physiques. Des impacts positifs négligés par la plupart des études portant sur les fameux règlements…


En conclusion

L’intention de promouvoir le port du casque de vélo dans le but de réduire les blessures à la tête n’est pas mauvaise à la lumière des résultats de la revue Cochrane. Par contre, les règlements obligeant le port du casque ont des effets pervers qu’il ne faut pas négliger. Une approche plus nuancée, ou l’on mettrait l’accent principalement sur la promotion des bienfaits du vélo (dans l’optique de changer la norme sociale), sur le développement d’infrastructures cyclables attrayantes, pratiques et sécuritaires, sur la sensibilisation des cyclistes et des automobilistes au partage de la route et sur une application plus rigoureuse des limites de vitesse serait préférable. La promotion du port du casque (sans qu’il n’y ait obligation) peut faire partie d’une telle stratégie, mais dans un rôle secondaire et en évitant le sensationnalisme et l’exagération du risque.


Références

Macpherson A, Spinks A (2009). Bicycle helmet legislation for the uptake of helmet use and prevention of head injuries. Cochrane Database of Systematic Reviews. http://www.thecochranelibrary.com/SpringboardWebApp/userfiles/ccoch/file/Safety_on_the_road/CD005401.pdf

Rissel C, Wen LM (2011). The possible effect on frequency of cycling if mandatory bicycle helmet legislation was repealed in Australia: a cross-sectional survey. Health Promotion Journal of Australia, 22 (3), 178-183.

Robinson, DR (2006). No clear evidence from countries that have enforced the wearing of helmets. British Medical Journal, 332, 722-725.

Tin Tin S, Woodward A, Thornley S, Ameratunga S. (2011). Regional variation in pedal cyclist injuries in New Zealand: safety in numbers or risk in scarcity. Australian and New Zealand Journal of Public Health, 35 (4), 357-363.

Walker I (2007). Drivers overtaking bicyclists: objective data on the effect of riding position, helmet use, vehicle type and apparent gender. Accident Analysis and Prevention, 39 (2), 417-425.

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