jeudi 18 août 2011

Un casque c’est bien, mais des infrastructures cyclables de qualité, c’est beaucoup mieux !

Dans mon dernier billet, j’ai discuté de la diminution marquée du risque relatif de blessures et de traumatismes crâniens chez les cyclistes Canadiens au cours de 10 dernières années. J’ai mentionné quelques raisons qui peuvent expliquer cette amélioration de la sécurité routière dont le phénomène de « sécurité du nombre » (e.g. safety in numbers), le développement des infrastructures cyclables et l’instauration des plans de déplacements dans un nombre croissant d’écoles primaires. J’avais mentionné que j’allais discuter du port du casque dans mon prochain billet. Eh bien, chose promise, chose due…

D’abord, nul besoin d’être un fin observateur pour constater que les politiques et les programmes portant sur la sécurité routière au Québec et au Canada mettent l’accent d’abord et avant tout sur le port du casque. Par exemple, dans la Politique sur le vélo du Québec, révisée en 2008, le port du casque est clairement décrit comme le premier axe d’intervention. En page 16, il est écrit, et je cite : « Le taux [de port du casque] est ainsi passé de 25,4% en 2000 à 37,2% en 2006. Si les prochaines enquêtes révélaient des taux avoisinant les 40%, la Société [de l’assurance automobile du Québec] pourrait envisager de proposer au Ministère des transports de légiférer afin de rendre obligatoire le port du casque ». De tels règlements existent déjà dans certaines provinces Canadiennes, notamment pour les moins de 18 ans. Plus récemment, la ville de Sherbrooke a adopté un règlement controversé obligeant les enfants et les adolescents à porter le casque. 

Personnellement, je ne suis pas défavorable au port du casque puisque je le porte moi-même la plupart du temps, mais par libre-choix (considérant le grand nombre d’automobilistes nord-américains qui ne comprennent pas la signification du concept de partage de la route). Je crois cependant qu’il y a lieu de se questionner sur les impacts positifs et négatifs des règlements obligeant le port du casque.

Pour tenter de répondre à cette question, une recension des écrits selon la méthode Cochrane a récemment évalué les impacts de règlements obligeant le port du casque sur le taux de port du casque et les blessures à la tête (Macpherson et Spinks, 2009). Les auteures ont identifié un total de 5 études longitudinales avec un groupe témoin (ces critères sont essentiels pour assurer une évaluation d’impact rigoureuse) qui ont toutes été effectuées en Amérique du Nord. Trois d’entre elles ont évalué l’effet des règlements sur le port du casque et, comme on pouvait s’y attendre, les taux ont augmenté de façon importante. 

Deuxièmement, trois études ont évalué les impacts sur le risque de blessures à la tête : 2 ont montré une diminution significative du risque (Lee et al, 2005; Macpherson et al., 2002) tandis que l’autre a rapporté une diminution qui n’atteignait pas le seuil de significativité statistique[i] (Ji et al., 2006). Dans l’étude Californienne de Lee et collègues (2005), la diminution du risque de blessures à la tête était de 18% chez les moins de 18 ans tandis qu’aucune diminution du risque n’a été observée chez les adultes. L’étude Canadienne de Macpherson et collègues (2002) rapporte une diminution plus importante du risque de blessures à la tête, soit 45% dans les provinces où le port du casque est devenu obligatoire. Par contre, il y a eu une diminution de 27% dans les provinces témoin où aucune législation concernant le port du casque n’a été implantée. On se retrouve encore une fois avec une différence de 18%[ii].

Dans leur conclusion, les auteures indiquent que la qualité méthodologique des études réalisées jusqu’à présent est loin d’être optimale. Les effets à long terme de ces règlements demeurent indéterminés. Elles mentionnent également que les études recensées n’ont pas évalué si les règlements avaient un effet pervers sur le taux de pratique du vélo. Cela dit, le dernier paragraphe de leur conclusion mérite notre attention : « En somme, les règlements obligeant le port du casque ne sont qu’une mesure parmi tant d’autres pour réduire le risque de blessures à la tête chez les cyclistes. Une approche similaire à celle qui fut adoptée pour améliorer la sécurité routière chez les automobilistes comportant une série de contremesures[iii] est susceptible d’avoir un impact beaucoup plus important sur la sécurité des cyclistes » (traduction libre).

Une autre revue de la littérature parue dans British Medical Journal indique que les règlements obligeant le port du casque en Australie ont entraîné une augmentation de près de 40% à plus de 80% des taux de port du casque en l’espace de quelques mois (Robinson, 2006). Cependant, leur impact sur le taux de blessures à la tête a été nettement inférieur à celui des autres mesures visant à améliorer la sécurité routière. De plus, une partie non-négligeable de la diminution du nombre de blessures à la tête observée en Australie pourrait être attribuable à… une diminution du nombre de cyclistes[iv] ! Le nombre de cyclistes recensés à Melbourne a diminué considérablement après l’instauration du règlement. Les données du recensement Australien indiquent également que la part modale du cyclisme utilitaire chez les adultes est passée de 1,1% à 1,6% de 1971 à 1986 pour ensuite chuter à 1.2% après l’avènement du règlement. Le manque d’efficacité des règlements pourrait aussi être attribuable à un ajustement inadéquat du casque (Robinson, 2006).

Il est aussi possible que certains casques soient tout à fait inefficaces. Telle est la conclusion d’une série de tests menés par un magasine Danois qui est en quelque sorte l’équivalent du magazine Protégez-vous au Québec (pour une description en anglais, voir http://www.copenhagenize.com/2011/07/nutcase-is-putting-cyclists-safety-at.html.) Les deux modèles de casques qui ont échoué les tests d’impact étaient typiques de ceux que les gens qui font du skateboard portent généralement. Il va sans dire que porter un casque non-sécuritaire (sans le savoir) peut engendrer un faux sentiment de sécurité qui peut probablement favoriser la conduite dangereuse.

Autrement dit, si on veut réellement diminuer le risque de blessures à la tête, il est aberrant de se concentrer uniquement sur le port du casque. Ceci peut paraître comme une évidence pour certains lecteurs assidus, mais pas nécessairement pour la population en général. Par exemple, il m’arrive souvent de constater que la description des accidents de la route impliquant un cycliste se conclue par « le cycliste ne portait pas de casque[v] ». Comme si dès lors que le cycliste ne portait pas de casque, il doit être considéré comme l’artisan de son propre malheur, et ce peu importe si c’est le cycliste ou l’automobiliste qui est le principal fautif.

Or, les données scientifiques dont nous disposons actuellement indiquent que le port du casque a un impact positif, mais relativement modeste sur le risque de blessure. Mais, surtout, le risque de traumatisme crânien et/ou de mortalité est directement proportionnel à la vitesse des véhicules impliqués dans la collision. D’où l’intérêt de diminuer la vitesse des véhicules par diverses mesures (dos d’âne, rétrécissement de la chaussée près des intersections, etc.) et, dans le mesure du possible, séparer physiquement les cyclistes des automobilistes (ex : pistes cyclables en site propre, bandes cyclables, etc.). Ces aménagements sont omniprésents aux Pays-Bas et en Scandinavie. Justement, pour chaque kilomètre parcouru à vélo, les cyclistes Néerlandais ont un risque de mortalité environ 600% inférieur à celui de leurs homologues États-Uniens. Une telle différence est largement supérieure à celle qui a été observée dans les deux études longitudinales nord-américaines qui ont observé un impact positif des règlements obligeant le port du casque sur les blessures à la tête.

Il n’en demeure pas moins qu’un casque de vélo dont la résistance aux impacts a été démontrée par un organisme indépendant (et non par les tests du manufacturier) et qui est ajusté adéquatement peut réduire le risque de blessures à la tête. Pour cette raison, le port du casque est souhaitable, surtout en Amérique du Nord et en Australie. Par contre, il me semble que les gouvernements devraient mettre l’emphase d’abord et avant tout sur les infrastructures cyclables et sur la sensibilisation au partage de la route, bien avant de considérer l’adoption de règlements qui pourraient entraîner une diminution de la pratique du vélo. En un mot, un casque c’est bien, mais des infrastructures cyclables de qualité, c’est beaucoup mieux !


Références

Ji et al. (2006). Trends in helmet use and head injuries in San Diego County: the effect of bicycle helmet legislation. Accident Analysis and Prevention, 38, 128-134.

Lee BH, Schofer JL, Koppelman FS (2005). Bicycle safety helmet legislation and bicycle-related non-fatal injuries in California. Accident Analysis and Prevention, 37, 93-102.

Macpherson, AK et al. (2002). Impact of mandatory helmet legislation on bicycle-related head injuries in children: a population based study. Pediatrics, 110, e60.

Macpherson A, Spinks A (2009). Bicycle helmet legislation for the uptake of helmet use and prevention of head injuries. Cochrane Database of Systematic Reviews.

Ministère des transports du Québec (2008). Politique sur le vélo. Édition révisée, Mai 2008. 28p.

Robinson, DR (2006). No clear evidence from countries that have enforced the wearing of helmets. British Medical Journal, 332, 722-725.


[i] Autrement dit, il y avait plus de 5% de chances que la diminution observée soit due au hasard.
[ii] On voit ici l’importance d’avoir un groupe témoin !
[iii] Les contremesures auxquelles les auteures font référence incluent entre autres les sanctions plus sévères contre les excès de vitesse et l’alcool au volant, les campagnes de sensibilisation, l’amélioration des caractéristiques de sécurité des voitures, etc.  Pour ce qui est des cyclistes, j’ai décrit certaines des « contremesures » dans plusieurs de mes billets sur ce blogue.
[iv] Il est donc ironique de constater que BIXI est jusqu’à maintenant un échec flagrant à Melbourne en Australie, où le port du casque est obligatoire pour tous les cyclistes !
[v] J’ai lu cette phrase identique sur le site web de Radio-Canada dans deux compte-rendu d’accidents qui ont eu lieu dans la même fin de semaine en juillet dernier.

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