jeudi 21 avril 2011

À propos du prix du gaz : la grenouille qui bout tranquillement ne sort pas de la marmite…

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la hausse du prix du gaz que l’on connaît depuis quelques mois exaspère les automobilistes[1]. Dans une certaine mesure, je peux comprendre leur frustration  en constatant que les grandes pétrolières – grâce à leurs alliés, les spéculateurs – se servent de n’importe lequel évènement qui génère de l’incertitude quant à l’approvisionnement pétrolier. Présentement, ils brandissent le spectre de la guerre civile en Lybie, alors que ce pays ne possède que 2% des réserves pétrolières mondiales. Pourtant, les prix ont augmenté de plus de 20% depuis le début de l’année, ce qui ne peut pas s’expliquer uniquement par la situation en Libye. C’est là qu’entrent en jeu les spéculateurs qui se remplissent les poches en agitant le spectre de l’incertitude.

Or, si le prix du gaz a augmenté considérablement depuis quelques mois, cette augmentation se fait plutôt tranquillement. Le prix augmente de quelques sous par semaine. Ce n’est rien de comparable à l’embargo sur le pétrole en provenance des pays Arabes du début des années 1970. Ce choc avait été particulièrement brutal, notamment pour les États-Unis et les Pays-Bas, en raison de leur appui à Israël dans leur conflit avec la Palestine (à cette époque, le parti pris du Canada dans ce conflit était moins important que sous le régime de Stephen Harper et ses moutons).

Durant les longues heures d’avion que j’ai endurées pour aller en Finlande, j’ai lu le livre Pedaling revolution de Jeff Mapes, un journaliste de Portland en Oregon, l’une des villes les plus favorables au transport actif en Amérique du Nord. Sa réflexion au sujet du choc pétrolier est particulièrement intéressante. Aux États-Unis, les ventes de vélos ont littéralement doublé en l’espace d’un an ou deux. Bien que d’autres facteurs comme le baby-boom et un certain engouement pour la condition physique aient contribué à cette situation, le prix du gaz a joué un rôle non-négligeable.

Par contre, le gouvernement n’a pas fait grand-chose pour améliorer les infrastructures cyclables et encore moins pour promouvoir le transport actif. L’argument de George W. Bush : « The American way of life is not negotiable »  aurait très bien pu s’appliquer à la situation. Vers 1975, les prix du gaz ont commencé à redescendre et les ventes de vélo ont décliné aussi rapidement qu’elles avaient augmenté. Des grands manufacturiers comme Schwinn ont pratiquement fait faillite.

Quant à eux, les Hollandais ont réalisé qu’ils n’avaient pas le contrôle sur leur approvisionnement et que le modèle de développement axé sur l’automobile n’était probablement pas viable à long terme. Ils ont donc décidé d’investir massivement dans la promotion du transport actif et dans le développement d’un impressionnant réseau cyclable (qui est très sécuritaire malgré les comportements à risque de nombreux individus). À la fin de l’embargo, le prix de l’essence a été maintenu à un niveau assez élevé pour financer les travaux d’infrastructures. En bout de ligne, le vélo a devancé l’automobile comme mode de transport principal, atteignant même les 50% dans la ville de Groningue et avoisinant les 40% à Amsterdam.


Revenons à nos grenouilles…

Jusque-là, vous vous demandez peut-être où je veux en venir avec la grenouille. Eh bien, vous avez probablement déjà entendu dire que lorsqu’on plonge une grenouille dans l’eau bouillante, elle en ressort rapidement, mais que lorsque la grenouille est déposée dans l’eau froide et qu’on augmente tranquillement la température, elle ne sort pas.  Remplaçons maintenant la grenouille par l’automobiliste et l’eau par le prix du gaz (au sens figuré bien entendu !). Lorsque le prix augmente tranquillement, la principale action des automobilistes en général est de râler contre le prix. Un petit nombre d’entre eux peuvent songer à réduire leur kilométrage. Par contre, peu d’entre eux iront jusqu’à changer de mode de transport principal[2].

Donc, dans la mesure où la courbe d’augmentation du prix du gaz demeure relativement stable, il y a fort à parier que les automobilistes continueront à râler, sans toutefois changer leurs habitudes. Le Québec n’étant pas un producteur de pétrole (présentement en tout cas), il devra payer de plus en plus cher pour ses importations. Le chiffre de 20 milliards par année est prévu d’ici la fin de la décennie… à moins qu’une prise de conscience collective ait lieu et qu’on décide de s’inspirer des Hollandais (et d’autres pays comme le Danemark, l’Allemagne, la Finlande et la Suède). Si le prix du gaz augmentait soudainement comme lors de l’embargo des années 1970, peut-être que les grenouilles sortiraient de la marmite d’eau bouillante !


[1] Cela dit, j’ai l’impression que certains se sont bercés d’illusions en achetant des gros chars lorsque le prix du gaz et des voitures avait diminué considérablement suite à la récession de l’automne 2008, mais bon…
[2] Surtout en Amérique du Nord où près de 99% du budget des ministères des transports est consacré au transport passif (automobiles, camions, autobus, etc.) et où les voies cyclables ne sont pas bien connectées. Les histoires comme celle du conducteur inattentif qui a tué 6 cyclistes sur la route 112 en Montérégie l’an dernier (et qui n’a même pas été poursuivi !) n’aident pas non plus…

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